6. Séquestration

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Les fenêtres obscures s'illuminèrent soudain d'un paysage champêtre sous la lune. Sur les côtés et à l'arrière, des collines ondulaient au gré de la brise nocturne, la silhouette distante d'une tour se dressait dans le lointain, une route de terre serpentait sous leur carrosse. Le ciel paraissait dégagé, tranquille, mais Arthur ressentait une épouvante profonde. 

Il frappa du poing sur la paroi les séparant du cocher qui, il l'imaginait, devait être la femme inconnue, qu'il avait prise pour Viviane, qui était peut-être tout autre chose. La cloison matelassée s'enfonça mollement sous son coup, étouffant sa menue révolte. Il chercha ensuite une poignée pour ouvrir le portillon du véhicule, en trouva une, qui s'inclina sous sa paume sans pour autant le libérer. Au dehors, la campagne se mouvait plus rapidement, comme s'ils glissaient sur le sol. Aucun bruit n'émanait du carrosse, on n'entendait pas les chevaux, pas le moindre grincement.

— C'est inutile, murmura son compagnon d'infortune, alors qu'il plaquait les mains sur la vitre. Nous devons guetter l'instant propice. Sa magie est trop puissante.

Morgane, songea soudain Arthur.

Était-il possible que sous la cape de l'inconnue, sous son masque, se soit cachée sa demi-soeur maudite ?

Il n'aurait pu en jurer. Les derniers instants semblaient se fondre dans la brume d'un sortilège et l'absurdité de ses décisions lui apparaissait sous un jour obscur. Oui, il avait eu envie de partir, mais ça n'avait aucun sens : il était libre, il était le roi, il aurait pu se lever de bon matin, enfourcher un cheval et aller rencontrer ses sujets dans les campagnes. S'évader à la nuit, dans le sillage d'une étrangère, ne lui ressemblait guère. Quelqu'un le lui avait soufflé, avec malice.

Hector voyait juste : ils avaient été manipulés et désormais enlevés. Dans quel but, impossible de le savoir, mais Arthur n'ignorait pas que par son statut, il constituait un otage de choix. Il cessa de s'agiter, gonfla le torse pour se donner contenance et grimaça de douleur.

— Tu es blessé, observa Hector.

Le carrosse vira abruptement, déséquilibrant le jeune roi qui se raccrocha d'un bras au siège.

— Une chute, répondit-il.

Arthur se targuait de toujours dire la vérité, même quand elle n'était guère glorieuse.

— Qui es-tu ? demanda alors son compagnon.

La question était tellement stupéfiante qu'Arthur en resta médusé. Il se désigna du doigt, prenant la mesure du maléfice qu'on avait tissé autour d'eux. Merlin pourrait-il le retrouver, où qu'on l'emmène ?

— Je suis Arthur Pendragon, fils d'Uther Pendragon, roi de Bretagne...

Il désigna l'extérieur d'un geste incertain, mais en réalité, il ne reconnaissait rien de ce qui défilait au dehors, de plus en plus vite, en taches noires surplombées d'une voûte étoilée.

— J'ai pensé que tu étais un dieu, remarqua Hector avec un rire sourd. Dans ton armure rutilante... tes cheveux d'or... Cette allure altière... Le seigneur Apollon, ou un de ses fils... mais tu es en réalité un homme.

Arthur ne parvenait pas à dire si la moquerie qui baignait son ton lui était adressée ou si Hector la dirigeait contre lui-même et sa déduction erronée.

— Je ne suis pas un dieu, reconnut le souverain. Personne n'est l'égal de Dieu.

Hector opina du chef, songeur.

— Sages paroles. Je n'ai jamais entendu parler de Bretagne ou de Pendragon... Où cela se trouve-t-il ?

Arthur le dévisagea et haussa les épaules, s'arrachant une nouvelle grimace.

Les Héros de Rien (en cours)Where stories live. Discover now