12. Contact

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Une cité s'élançait vers l'horizon, d'arbres et de tours argentées. Des routes scintillantes serpentaient entre les constructions, qui grimpaient parfois jusqu'aux nuages dorés par l'aube nouvelle. Des carrosses aux chevaux invisibles, de métal coloré, circulaient en masse fluide à leurs pieds.

— Vous voulez sortir pour mieux y voir ? demanda Leo, la main sur la poignée.

Arthur recula instinctivement. Hector ne répondit rien.

Le jeune roi tenta de compter les tours : dix, vingt, cent, mille. Il ne voyait ni forêt, ni champs, seulement cette étendue verte et grise, en patchwork désordonné. Les arbres paraissaient immenses, anciens, mais demeuraient minuscules aux côtés des bâtiments, plus nombreux, dont les tailles diverses formaient comme de multiples escaliers. Arthur chercha à repérer des formes familières dans ce fouillis, un château, une garnison, une église, mais rien ne ressemblait à ce qu'il avait laissé derrière lui. Même le mouvement paresseux de grands moulins, perchés sur des colonnes étroites et gigantesques, lui paraissait étranger.

En proie à un vertige, il tangua sur ses jambes. Le bras d'Hector lui encercla la taille, une seconde, pour le stabiliser.

— Nous voulons rentrer chez nous, déclara le Troyen, sans quitter le spectacle des yeux.

Leo acquiesça.

— Le souci, mon prince, c'est que chez vous, c'est ici. Il n'y a pas d'autre monde. Il n'y en a jamais eu.

Dans leur dos, leur hôtesse lâcha un gémissement aigu. Arthur se retourna vivement vers elle et découvrit qu'elle avait noyé son visage entre ses mains.

— Est-ce le paradis ? demanda Arthur. Sommes-nous morts ?

— Expliquez-vous, ajouta Hector. Cette cité nous est étrangère, à l'un comme à l'autre. Si vous nous avez arrachés à nos mondes, vous pouvez nous y ramener. Nous ne sommes pas morts. Ceci ne ressemble ni à l'Elysée, ni aux Enfers.

Une étrange vibration résonnait dans sa voix, qu'Arthur ne put identifier.

— Hum, dit Leo.

Elle avait posé un doigt sur son menton et lorgnait le plafond, lèvres pincées.

— Vous connaissez le théâtre ? demanda-t-elle soudain. La comédie ? La tragédie ? Je ne sais pas comment on appelle ça, à vos époques. Quand des gens déguisés viennent jouer des histoires, des contes et légendes, de la mythologie, pour divertir la cour...

— Un spectacle de ménestrels, proposa Arthur, qui ne voyait pas où elle voulait en venir.

— Leo, s'il te plait...

— Désolée, Nin, mais ils ont besoin de savoir. Sinon ils vont te tordre le cou, et le mien. Et de toute façon, il faut bien...

— Vous venez d'autres mondes, oui, la coupa alors vivement leur hôtesse. Et il est impossible d'y retourner. Impossible. Et ce n'est pas grave, c'est mieux, vous pouvez vous faire à celui-ci. Je vous aiderai.

— Impossible ? s'exclama brusquement Hector.

Arthur lut sur le visage de Nina qu'elle disait vrai, ou qu'elle en était persuadée, en tout cas, qu'il n'y avait pas de chemin qui les ramenait vers leur cité respective. Lorsqu'ils étaient montés dans son chariot maudit, ils avaient scellé leur destin de manière irrémédiable. Il se sentit mal. Camelot, Guenièvre, la quête du Saint Calice, tous ses chevaliers, la Table Ronde... Elle les lui avait ravis en le trompant dans la nuit noire, et il avait suivi, comme un imbécile. Les paroles de Merlin lui revinrent, sur son égoïsme, son incapacité à faire passer le bien commun, nécessaire, à la place de ses propres élans. C'était la raison pour laquelle il avait suivi sans broncher, comme un chien obéissant : parce qu'il avait voulu étendre ses ailes et s'envoler, sans se soucier du reste. À présent, il était coincé dans cet endroit incompréhensible, avec des étrangers.

Les Héros de Rien (en cours)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant