46. Short Cuts

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Le jeune homme erre dans un dédale étroit de murs dressés. Son souffle court chuinte en écho, sa lame tendue devant lui sonde les ombres, la lumière chiche ne lui permet pas d'anticiper.

Et ces angles, sans cesse, qui lui bouchent la vue, ces parois soudaines, ces embranchements multiples, gauche, droite, ou devrait-il revenir sur ses pas et changer de direction ?

Ses hésitations se lisent sur son visage, avec la fatigue, la peur, et un fond tenace de détermination. Il ne peut pas renoncer car il n'y a rien derrière. Un fil qui mène à la sortie mais qu'il ne pourra remonter qu'après avoir vaincu le monstre qui l'attend, tapi au détour d'un nouveau couloir.

De temps en temps, il lorgne le plafond, croise par hasard, sans le voir, l'oeil de ceux qui le surveillent et se rient de lui. Le ciel lui manque. Le soleil. Le vent. Ici, tout n'est qu'obscurité, poussière et danger.

Il persévère.

Le labyrinthe s'ouvre sur une salle plus large, au sol de sable tassé. Pour avoir déjà découvert ce genre d'endroit plus d'une fois dans les jours précédents, le guerrier sait ce qui l'attend. Une mauvaise rencontre. Il se garde d'anticipation, se détend imperceptiblement quand surgit la menace. Deux hommes dont les traits révèlent qu'ils l'ont précédé en ces lieux, que la mort les a emportés, que la magie d'Hadès les a relevés pour lui barrer le passage. Il n'est pas au bout de son périple, pas encore, mais il ne craint pas ces créatures, lémures, goules, revenants.

Le combat s'engage presque aussitôt, car le héros prend les devants, sans lâcheté excessive. Ces heures à tourner en rond ont émoussé sa patience et il libère toute sa frustration, son angoisse, sa terreur, dans ces quelques passes d'armes. Comme un chat sauvage trop longtemps enfermé dans une boîte, il a besoin de s'exprimer.

Il le fait, d'un coup, d'un second. Depuis le temps qu'il crapahute dans les ténèbres, ses yeux ont pu s'habituer à cette ambiance sépulcrale, qui semble ralentir l'adversaire.

Une formalité.

Les créatures d'outre-tombe saignent rouge, mais peut-être est-ce une illusion, dans cet endroit maudit.

Il dégage sa lame des côtes du second, l'essuie sur les vêtements du premier, puis la rengaine. C'est à peine si son coeur bat plus vite. Il lorgne les quatre passages qui lui permettent de quitter les lieux, tire sur le fil qui se déroule, et reprend sa route, droit devant.


Fondu au noir.


Soleil, nuages blancs sur le ciel bleu, une clairière et des bouleaux qui dansent dans la brise.

— Au secours ! Au secours ! Chevalier, je vous en supplie, aidez-moi !

Les hurlements de la jouvencelle révèlent sa détresse. Attachée à un arbre, la robe échancrée par des mains avides, elle s'époumone dans l'espoir d'être entendue d'un héros. Le malotru qui la malmène se dresse comme un molosse enragé pour protéger son butin de chair. Sa lame rouillée semble avaler la lumière.

En face de lui, le chevalier ne ressent pas la moindre peur, seulement la fureur juste qui anime un coeur noble. Ce ruffian va regretter d'avoir vu le jour et mordre la poussière. Le visage avenant du preux ne reflète pas ces noires émotions, il reste impassible. Il connait sa supériorité, il est le meilleur d'entre tous. Ce n'est pas ce barbare mal dégrossi qui risque de le faire trébucher.

— Libère cette gente dame, mécréant, ou l'épée de la justice tranchera ta misérable tête !

En réalité, quoi que fasse ce sinistre individu, le chevalier le tuera. S'il cède aujourd'hui, il recommencera demain, et assainir le Royaume de ces pourritures fait partie de la mission divine qu'Arthur leur a confiée.

L'homme le charge en traître, sans avoir répondu, le regard sang derrière la fente de son heaume. Le Preux s'en moque. Rien ne peut le surprendre, rien ne peut le menacer. Il adresse une prière au Seigneur, songe à la femme qu'il aime et qu'il n'aura jamais, puis se porte à la rencontre de son adversaire. Lame contre lame, le tintement du destin. La femme s'est tue. Les armures s'entrechoquent, les épées à nouveau, vers le ciel puis le sol. Le rustre ne manque pas d'énergie, mais sa technique est minable, le chevalier gère sa force supérieure de passes d'armes étudiées. Il décide de faire durer le plaisir, que la jeune femme ait quelque chose à raconter à ses proches, un spectacle merveilleux qui la fera oublier, peut-être, l'indignité qui lui a été infligée. Or, quoi de plus formidable que de l'admirer, lui, en pleine action ?

Un héros de légende, elle n'en verra sans doute plus jamais d'aussi près. Il lui baisera la main ensuite, lui offrira sa cape, proposera de le raccompagner jusque chez elle, en croupe sur son cheval blanc.

Une passe d'armes supplémentaire, les bottes glissent, la terre macule son plastron. La vision l'agace. Le brigand se défend mieux que prévu. Alors il cède à sa violence, feinte et le pourfend. Poitrine puis gorge, pour faire bonne mesure. Le sang asperge tout, à la fois magnifique et répugnant. Peut-être la jouvencelle proposera-t-elle de nettoyer ce carnage. Après tout, elle est responsable.

Il se dirige vers elle, un sourire conquérant plaqué sur le visage. Elle se pâme, enchantée.


Fondu au Noir.


Le prince attend, lance au sol. Derrière lui, les remparts se dressent, imprenables. Il aurait pu rester à l'intérieur, il aurait sans doute dû, mais l'honneur lui a commandé de sortir pour affronter le meurtrier de sa soeur. Ce que cette ordure lui a fait, il ne veut même pas y penser. Mais il sait que c'est ce qui attend chacune des femmes de sa cité, s'il succombe, plie, échoue. Le sac, la ruine, la destruction, le massacre.

La pression est insupportable, et il suffirait de leur donner cette femme. Belle, oui. Amoureuse, sans doute.

Et alors ?

Son père prétend qu'il est trop tard, que l'affront a eu lieu, que même si on rendait Hélène à son mari, les Grecs maintiendraient le siège, juste pour les punir.

Mais si on leur donnait Pâris, aussi ? De l'or, des vaches, du grain, quelques bateaux ?

Sont-ils à ce point déraisonnables ? Vraiment ?

Le prince a peine à le croire, mais déjà s'avance son adversaire, un mastodonte, qu'on décrit comme second en force après Achille. Peu importe. Même si Arès s'avançait, il lui faudrait l'affronter.

Le laisser approcher semble noble mais stupide. Or le destin d'une cité repose sur ses épaules. Il soulève sa lance et la projette aussitôt sur l'adversaire. Il a violé une jeune femme, après tout, qu'espère-t-il ? Un duel d'égal à égal ? De la clémence ?

La pointe de l'épieu frappe le héros grec en pleine poitrine, s'enfonce dans son plastron et gicle dans son dos. En deux pas, le prince troyen a franchi les quelques mètres qui les séparaient et plongé la lame de sa courte épée dans sa gorge. Voilà pour l'honneur. On obtient ce qu'on mérite. Cassandre est vengée. La surprise qu'il lit sur le visage de sa victime l'indiffère. C'est la guerre, après tout, et elle mène les hommes au pire.

Sans attendre, il abandonne le cadavre et retourne vers les remparts.


Fondu au noir.

Les Héros de Rien (en cours)Where stories live. Discover now