31. Ambivalent

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À la nuit, Arthur se faufila hors de sa chambrette, remonta les couloirs endormis, franchit une porte puis une autre, et atteignit la pièce qui jouxtait la salle où reposait Hector. Il avait demandé accès à son ami, mais on le lui avait refusé pour des raisons d'hygiène auxquelles il n'avait pas compris grand-chose. Il en était réduit à contempler son compagnon au travers d'une vitre, sans pouvoir le toucher ou lui parler. Le Troyen semblait presque hors de portée, sous son attirail, dans la pénombre. Une image de plus. Comment s'y fier désormais. Arthur pressa le front sur la vitre, entre ses mains ouvertes, et ferma les yeux.

Plutôt que de prier un Dieu sourd qui n'existait pas, ou en tout cas, s'il existait, qui ne bénissait sûrement pas les créatures sans âme qu'avaient construites les humains, il s'adressa à Hector, dans sa tempête ou son néant. Il ne s'attendait guère à frôler son esprit, et les ténèbres demeurèrent vides, comme elles l'étaient restées dans l'église, à la mesure de sa propre histoire. Il songea un instant à se déverser, son désarroi, sa terreur, puis se ravisa et emplit le néant d'espoir et de promesses. Il l'attendrait. Ils trouveraient une voie ensemble, au-delà du script qu'on leur avait imposé. Laquelle, Arthur n'en savait rien, et il ne voulait pas en décider sans Hector.

Un roc meurtri dans une mer déchaînée, hors d'atteinte, que l'eau sauvage peu à peu effrite et renvoie vers le fond. Pas un roc, non, un homme, comme lui, pas humain mais peu importe. Arthur nagerait le temps nécessaire.

Sauf que son destin reposait entre des mains étrangères, pour qui il n'était qu'une expérience, qu'un défi. Mille poignards minuscules dans la nuque, un autre sortilège, un poison sécrété par des monstres qui se croyaient leurs maîtres. Supérieurs parce que vrais.

La fatigue et le trouble complotèrent pour l'envoyer au sol. Il s'assit sous la verrière, dos au mur, front entre les paumes. Retourner jusqu'à sa chambre était sans conteste l'option la plus raisonnable, vu son état, mais il craignait d'abandonner le Troyen, une fois de plus, dans les ténèbres.

Ça n'aurait rien changé, se morigéna-t-il. La perversité de ses ennemis l'aurait foudroyé de la même manière, en catimini, comme une malédiction qu'il ignorait porter en son sein, prête à se déclencher.

Abandon de poste.

Max disait qu'Hector avait dû être conçu avec ce mécanisme intégré à son organisme dès le premier jour, une sécurité en cas d'évasion, exactement ce qui s'était produit. Lui-même, Arthur, était l'une des quatre premières EBA qu'avait présentées le dénommé Miles au moment de la création de Légendes. Arthur, Lancelot, Hercule et Achille. Ceci expliquait qu'il soit déjà le soixante-quatrième de sa série, tandis qu'Hector était seulement le vingt-huitième, un nouvel ajout après qu'une décision de justice ait fait interdire l'usage de l'EBA d'Alexandre le Grand. Même s'il était fonctionnel, et que Miles procédait certainement à des calibrages de la stase et du contenu mnésique, le corps lui-même était plus difficilement modifiable car sa conception remontait aux premiers jours. Il aurait fallu une nouvelle souche, une EBA d'EBA pour poursuivre le processus. C'était techniquement faisable, et Max n'écartait pas la possibilité que Miles ait tenté l'aventure. Pas du tout.

Ces pensées dansaient dans l'esprit d'Arthur, et s'y mêlèrent au reste, à tout ce qu'il avait appris ces derniers jours, toutes ces décisions abominables et glaciales, ce jeu dont il était le pion imbécile, le héros malgré lui. Il n'avait jamais voulu être roi, jamais, et ne pas l'être aurait pu être un réel soulagement, mais il n'en était rien. Cette liberté complète, qu'on lui offrait sur un plateau, n'avait aucun sens quand elle était dégagée de tout. Aucune de ses inspirations, aucun de ses élans, n'était authentique. Le mot lui-même ne s'appliquerait jamais à lui.

Il songea un instant au premier Arthur, cet homme désormais mort, qui continuait à exister sous cette forme pervertie. Le tempérament, avait dit Max, cette étoffe dont on est constitué dès la naissance, un don du ciel, que certains imaginaient lié aux étoiles, d'autres à la volonté de Dieu, les derniers à des déséquilibres dans l'air, l'eau ou la nourriture. Voilà ce qu'il en restait. Un garçon timide, en retrait, qui avait préféré trancher le fil de sa propre vie plutôt que d'affronter les conséquences de ses actes.

Les Héros de Rien (en cours)Where stories live. Discover now