Battement 📚🩸

1- La librairie

TW 1.

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La caisse enregistreuse crache son ticket par à-coups. Charlotte l'arrache et le dépose dans le joli sac en papier craft flanqué du logo de la librairie qu'elle tend à sa cliente.

— Bonne journée et surtout bonne lecture ! dit-elle en accompagnant sa voix de miel d'un grand sourire.

La vieille dame la remercie avec un chevrotement inintelligible et se dirige d'une démarche lente vers la sortie. Il lui faudra sans doute une dizaine de minutes pour parcourir les trois mètres qui la séparent de la porte. La libraire ne l'attendra pas sagement derrière le comptoir, Charlotte est déjà replongée dans son livret de commande, une main qui suit les lignes, l'autre qui s'assure que sa pile de livres est bien complète. La petite clochette suspendue au-dessus de la porte d'entrée annonce la sortie de la vieille dame. Ou, plus probablement, l'entrée d'un nouveau client, puisqu'elle est encore en train de tirer son cabas en tremblotant.

Charlotte a perdu sa ligne, elle grommelle en reprenant le fil. Elle pensait pourtant avoir commandé un exemplaire de plus, mais non, pas pour celui-là... Elle a recommandé à cette maison d'édition, vraiment ? Ils ne l'ont pas remboursée correctement la dernière fois !

Une ombre se dresse devant le comptoir. La fiche de compte ne reçoit plus l'éclairage du luminaire. Charlotte relève la tête, déjà agacée.

— Bonjour, dit-elle en sursautant.

Le client qui lui fait face n'a rien de très surprenant. Mais rien d'habituel non plus. C'est un jeune homme très blond, à la peau très pâle, avec des cernes sous les yeux et un long manteau noir. Il la fixe. Elle fronce les sourcils.

Son visage aux airs sévères change tout à coup complètement quand il se fend d'un sourire et penche la tête sur le côté.

— Bonjour, répond-il. Me feriez-vous le grand plaisir de... me conseiller ?

Charlotte sort complètement la tête de son livret de compte. Elle tire sur sa jupe à fleurs, ses mains sont instantanément devenues moites.

— Bien sûr, bien sûr !

La libraire sort prestement de derrière le comptoir et avant même que le nouveau client ait pu dire quoique ce soit, elle l'entraîne déjà entre les rayons.

— C'est pour vous, ou pour offrir ?

— Pour... moi, répond le jeune homme.

À chacune de ses phrases, il s'interrompt, comme s'il essayait de répondre avant d'avoir compris la question.

— Qu'est-ce que vous aimez lire ? lui demande la libraire en le dirigeant dans le labyrinthe qu'est sa petite boutique.

— Vos lèvres, répond distraitement le jeune homme en la fixant.

Il a une voix très douce, un peu envoûtante. Charlotte attrape un gros ouvrage relié et lui assène un coup sur la tête.

Le jeune homme la regarde avec des yeux ronds, visiblement très, très surpris. La libraire remet le livre sur l'étagère.

— Pas de ça ici, lâche-t-elle froidement en évitant le regard du client.

— Pardonnez-moi, bredouille-t-il, c'était une plaisanterie.

— Oui, oui, je les connais les plaisanteries. Qu'est-ce que vous aimez lire ? demande-t-elle encore.

Elle instaure une distance professionnelle dans le ton de sa voix.

— Les... histoires de vampires, répond-il.

Charlotte l'entraîne dans un autre rayon. Elle semble avoir perdu tout enthousiasme de l'aider. La clochette de l'entrée retentit : la petite vieille a enfin réussi à atteindre la sortie.