32 - Chroniques | Premier Quartier

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TW 8, TW 13.

***

— Nicholas était vraiment déçu de ne pas pouvoir nous accompagner, sourit Charlotte en s'enfonçant dans la banquette.

— Tant qu'il ne lance pas son père à nos trousses, grogne Stanislas avec son cigare au bord des lèvres.

— Il en a dans la cervelle, ce gamin, t'en fais pas, lancé-je en m'étirant.

Les sièges de train ne sont vraiment pas devenus si confortables avec les années. Le paysage du soir défile derrière la vitre. Je vois bien que Stanislas est renfrogné.

— Quelque chose te contrarie, mon ami ? demandé-je en lui donnant une tape sur l'épaule.

— Son odeur, baragouine-t-il en désignant Charlotte.

Je tourne la tête vers elle. Elle porte une jolie robe orange avec une large ceinture aux motifs floraux. Je vois qu'elle veut faire bonne impression. Je suppose que c'est un peu comme de rencontrer son beau-père pour la première fois.

— Qu'est-ce qu'elle a, mon odeur ?

— Ce n'est pas exactement une odeur de vierge, soupiré-je. Elle a changé, depuis qu'on s'est rencontré. Pas complètement, mais un peu.

— Je n'ai jamais senti ça en trois siècles, c'est te dire, lance Stanislas en tirant une longue taffe sur son cigare.

— En même temps, on a fait l'amour ! s'exclame Charlotte sur la défensive. Fin pas... Pas tout, mais quand même...

Stanislas se claque le front. Je prends les mains de la jeune femme absolument magnifique et merveilleuse qui se tient face à moi.

— Je suis désolé, mais écoute, tu es toujours vierge, d'accord ? Apparemment tu arrives à te persuader du contraire, alors concentre-toi au moins pour les prochaines heures sur l'idée que si, tu es toujours vierge, que non, ce qu'on a fait ne comptait pas vraiment.

— Je veux bien essayer, dit-elle en haussant les épaules. J'espère que ça va marcher.

— J'espère aussi, maugrée Stanislas.

Le silence retombe sur notre compartiment. Charlotte lâche mes mains et sort un livre de sa sacoche. Je n'ai rien pris pour m'occuper.

— Ca faisait longtemps qu'on n'avait plus pris le train ensemble, soupire Stanislas, sur un ton plus doux soudain.

— C'est vrai. Au moins vingt ans, je dirais...

— Plus, c'était en 98 quand tu es venu chasser en Russie.

— Oui, c'est vrai ! Tu m'avais emmené jusqu'à Moscou...

Il me sourit avec son visage déformé. Il est loin, le jeune vampire tonitruant qui m'avait été présenté. Je pose la tête sur son épaule, il pose sa tête sur la mienne. Je me souviens des toits fantastiques des palais russes sous la neige.

— Ce soir sera sans doute la dernière.

— Je sais.

Charlotte tourne une page. Le train fonce.

Je repense à la fin d'après-midi, quand Stanislas m'avait emmené dans son petit appartement. C'était minuscule, ça puait le cadavre humain. Sitôt la porte fermée, il m'avait plaqué contre pour m'embrasser. Il était devenu plus direct avec moi, depuis la mort de Gontrand. On avait fait l'amour dans la cuisine, nos corps un peu précipité dans la hâte de se retrouver, puis dans le lit, plus tendrement avec sa peau brûlante contre la mienne, et puis à nouveau dans le canapé, juste avant que je parte. On ne savait pas encore que le Maître allait restreindre les heures de chasse à cause des chasseurs de vampires, et que je ne pourrais plus venir faire ce genre de petits rendez-vous. On s'était embrassé longuement en se quittant.

Il m'embrasse la joue, là, dans le train. Charlotte s'en fiche ; elle m'a déjà dit qu'elle s'en fichait et que si l'amour ne l'intéressait pas beaucoup avant que j'arrive, la "monogamie coincée du cul" non plus. Je reprends ses termes. J'embrasse Stanislas sur le nez et on échange un sourire. Les heures s'écoulent et je câline mon ami pour la dernière fois sans doute. Ma compagne lit sur la banquette d'en face. Je devrais être mort de stress... Mais je me sens étonnamment calme.

La nuit est couchée depuis longtemps, un quartier de lune éclaire le ciel, une voix grésillante retentit dans le compartiment : "Nächster Halt : München."

— Qu'est-ce que ça dit ? me demande Charlotte sans relever la tête de son livre.

— Qu'on arrive à Munich, chaton, dis-je en me redressant.

Stanislas me regarde toujours de son seul œil. Je lui lance un sourire.

— T'es quand même un drôle de vampire, hein.

— Oh, c'est parce que je suis neurodivergent, souris-je de plus belle.

Charlotte pouffe. Stanislas hausse un sourcil.

— Je ne vais même pas demander ce que c'est encore que cette connerie, ricane le vieux vampire.

Battement 📚🩸Where stories live. Discover now