13 - La vérité

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TW 3.

***

Charlotte se prend la tête entre les mains. Elle regarde son texte. Puis l'heure. Puis encore son texte.

Elle a étrangement froid dans le dos, ce soir. Elle a l'impression d'entendre du bruit dans la rue, elle ne sait pas bien pourquoi.

La jeune femme s'emballe plus fermement dans son plaid. Deux heures du matin. Il faudrait vraiment qu'elle aille dormir, mais elle n'y arrive pas.

Gabriel hante ses pensées. En même temps, elle écrit sur lui, enfin sur le personnage qu'il inspire, depuis des heures déjà. Une question lui tourne en boucle dans la tête, les considérations psychologiques de l'autrice amènent à cela : à quoi ressemblent les traumas pour un être éternel ?

Bien sûr, le véritable Gabriel, même s'il répète qu'il dit la vérité, ne pourrait probablement pas la renseigner sur le sujet.

Elle frissonne. À cause de ses mensonges, elle ne sait rien de lui. Elle peut déduire certains de ses centres d'intérêt, comme l'art ou l'Histoire, mais ne sait rien directement. Elle a l'impression qu'il a pu récolter par petites miettes, avec sa simple présence, beaucoup de choses sur elle. Il a même rencontré sa mère. De toute façon, on lit en elle comme dans un livre ouvert...

Deux heures dix. Il faut qu'elle aille dormir. Avec un soupir triste, elle consent à abandonner l'écriture. Mais sa réflexion ne lui quitte pas vraiment l'esprit et elle monte à l'échelle de sa mezzanine avec les joues échauffées en repensant à ce garçon.

Au début, l'attraction qu'elle ressentait lui paraissait très superficielle : même s'il occupait ses pensées, elle se sentait surtout attirée par lui en sa présence. Le reste du temps, elle contemplait son image avec plus de neutralité.

Maintenant, c'est presque le contraire, son cœur bat encore plus vite quand elle ne fait qu'y penser. Mais qu'est-ce qu'elle aime au fond chez lui, à part son sourire maladroit, son enthousiasme pour les petites choses et sa culture artistique ? Des mensonges, voilà tout. Les contes des mille et une nuits qui la tiennent en haleine depuis un mois. Elle en veut plus, toujours plus... C'est bien elle, le vampire. C'est elle qui suce dans le tissu de mensonges la matière à une bonne histoire. Quand elle y pense, elle sent la honte l'envahir...

Bouleversée par ses propres pensées, Charlotte s'endort les larmes aux yeux et le cœur déchiré.

***

Il y a deux choses qui se remarquent assez vite quand Gabriel passe les portes de la boutique le lendemain. La première, c'est qu'il n'est plus si fatigué. Il n'a pas l'air d'avoir les yeux en face des trous pour autant, mais il est clairement guilleret.

La deuxième, c'est qu'il a une grosse tâche de sang sur sa chemise.

— Oh putain ! s'exclame la libraire.

Gabriel hausse un sourcil. Il lui semble que Charlotte dit assez peu de gros mots... Mais il n'a pas le temps de se poser la question très longtemps, elle l'attrape par la manche et l'entraîne à toute vitesse dans l'arrière-salle.

— Wow, kess ki se passe...

Charlotte le pousse assis sur un des siège, et alors seulement Gabriel réalise qu'il a du sang sur lui.

— Ne bouge pas trop, panique Charlotte en déboutonnant sa chemise.

— J'espérais que tu me déshabilles dans d'autres circonstances, marmonne Gabriel en essayant de la retenir dans son geste.

— Ta gueule, il s'est passé quoi ? Qu'est-ce que tu t'es fait, c'est quelqu'un d'autre, c'est qui ?

Gabriel ne répond pas. Il abandonne l'idée de l'empêcher de le déshabiller.

La jeune femme ouvre le vêtement délicatement... Mais il n'y a aucune blessure dessous. De profondes cicatrices dans sa peau blanche, mais aucune blessure.

Gabriel se tait. Il la regarde et elle sent soudain à nouveau le lien qui les lie, elle se sent attirée, attrapée, agrippée, et elle n'est pas sûre que ça ait quoi que ce soit à voir avec son torse nu. Elle se concentre sur sa respiration un long moment. Avant de voir une traînée de sang séché sur le coin de son menton. La jeune femme tend la main pour l'essuyer, comme dans un rêve, elle essaye de comprendre, de savoir d'où peut bien venir ce sang.

Quand elle effleure sa joue du pouce, Gabriel lui attrape le poignet. Il a les yeux qui tournent et ses lèvres se retroussent sur ses dents. Charlotte voit alors ses énormes canines, ses gencives pleines de sang. La libraire hurle.

— Désolé... tente Gabriel en revenant à lui.

Il essaye de se lever du siège, mais Charlotte recule. Ses genoux se heurtent à la table basse, elle tombe par terre dans un fracas de vaisselle cassée.

Son service à thé vient de se briser sur le sol. Charlotte panique, elle s'est forcément coupée, il va forcément être attiré, il va lui faire du mal, c'est certain.

Mais quand elle le regarde, Gabriel a juste l'air confus, effrayé, triste, il cache sa chemise dans son manteau et quitte la pièce en une seconde.

La libraire peut alors seulement constater les dégats. Son service à thé réduit en miettes. L'angoisse qui lui monte dans le ventre. La réalisation affreuse qui s'impose à son esprit.

Elle est réellement tombée amoureuse d'un vampire.

Battement 📚🩸Donde viven las historias. Descúbrelo ahora