16 - Chroniques | 2023

15 5 15
                                    

Elle a compris. Elle a compris que j'étais un vampire.

Je quitte à la hâte la boutique. La panique me monte dans la poitrine. Je tiens fermement mon manteau pour cacher le sang sur ma chemise. Je suis quand même complètement con de ne pas m'être rendu compte que j'en avais foutu partout. Je suis un idiot fini... Elle a compris. Putain.

Dans ma course jusqu'à chez moi, je croise à un moment un sigle familier...

Un homme a le symbole des chasseurs de vampire sur son blouson. Merde.

Mon ventre cède et la panique m'entraîne. Mes poumons s'emballent, ma respiration se coupe, l'angoisse m'envahit. J'accélère le pas et m'enferme dans ma mansarde aussi vite que je peux sans laisser paraître mes capacités surnaturelles. Je me laisse couler sur le sol, mon corps tremble, j'essaye de rattraper mon souffle, de retrouver la réalité, il me faut un long moment pour capter à nouveau les formes et apaiser ma respiration. Mais je ne peux pas rester assis là.

Je dois trouver quelque chose. N'importe quoi. Il faut qu'elle me fasse à nouveau confiance ! Je ne peux pas tout recommencer avec une nouvelle personne, c'est tout simplement impensable...

Elle a cassé son service à thé. Enfin, c'était de ma faute. C'était un objet important pour elle.

Tout ce que j'ai dans cette pièce, c'est mon tour de potier, de l'argile et un four.

Quand j'arrive à réactiver mon corps, je me lève, laisse mon manteau au sol et m'assied. Au travail.

Il faut qu'elle sente que je l'ai fait pour elle. Il faut qu'elle arrive à me refaire confiance. Qu'elle voie ce service et qu'elle tombe amoureuse.

C'est toute ma tâche depuis un mois : Charlotte doit tomber amoureuse.

Je fais une tasse. Je la fais en repensant à elle et à toutes nos conversations. Ça m'apaise un peu, mon coeur bat plus calmement. Deuxième tasse. Quand elle sourit, quand elle rit, elle est quand même magnifique, elle me transmet une si belle énergie. Troisième tasse. Quand elle m'engueule, m'explique, calcule et dirige sa librairie. Quatrième tasse. Quand on a fait du vélo, à deux, le long du canal, que mes mains tenaient respectueusement ses hanches, que j'avais envie de sentir les rondeur de sa chair plus fermement, quand elle avait des miettes de croissant au coin des lèvres que je brûlais de lui prendre d'un baiser. Cinquième tasse, quand elle est tombée sur son service, quand son regard n'exprimait que de la peur. Je lui ai fait peur. Cette fille énergique, capable, ambitieuse et indépendante, qui ne m'a pas une seule fois laissé franchir ses limites, elle a eu peur de moi.

Je m'en veux terriblement et je suis terriblement triste. Je regarde les cinq tasses en face de moi et ces deux émotions s'imposent à moi : culpabilité, tristesse. Je lui ai fait du mal. Je dois me faire pardonner pour de vrai. Pas juste pour mon horrible combine.

Je m'attaque aux petites assiettes en me rendant compte à quel point cet exercice est au moins efficace pour détricoter mes pensées à son égard. Quand est-ce que j'ai commencé à me sentir autant attiré par elle ? C'était l'inverse qui était censé se produire...

Je m'applique sur mes créations, passe un long moment sur chaque objet, les peaufine délicatement entre mes mains humides. Je prends soin d'eux comme elle prend soin de moi, comme je rêverais de prendre soin d'elle. C'est elle qui nous dirigeait, nous guidait, je n'avais pas mon mot à dire, je ne pense pas que j'aurais voulu inverser les rôles. Je m'abandonnais chaque fois que je passais cette porte. Mon cœur bat dans ma poitrine.

J'ai déjà ressenti ça. Pour la française en 1913. Pour la toute première. Pour Gontrand et Stanislas. Peut-être aussi dans une vie antérieure, avec ma chaire humaine, avec mon cœur humain, ce dernier a-t-il battu pour un autre être comme aujourd'hui.

Nom de... Est-ce que je ne serai pas amoureux, par hasard ? Comme un con ?

Je m'insulte pendant des heures, tout en lui faisant la plus belle théière pour le plus beau service à thé que j'ai jamais produit. Je dis cela alors que c'est à la fois assurément mon projet le plus délicat et le moins satisfaisant. Je ne lui trouve que des défauts. Je pense à elle, je lui cherche les mêmes défauts, j'essaye de tordre la réalité dans mon esprit, mais je ne la rends que plus réel : je suis tombé amoureux.

Et c'est tout de même sacrément con parce que je suis censé la tuer.

Oh, bordel. C'est vrai. Je suis censé la ramener à mon Maître, la sacrifier, la manger avec lui.

J'ai envie de vomir en enfournant la théière. Je ne pourrais jamais faire ça. Je ne sais pas ce que je vais faire mais ça, jamais.

C'est trop con.

Je suis trop con.

Je passe la nuit à tourner en rond dans ma chambre, à régulièrement sauter sur les murs, à m'approcher et m'éloigner du four en sautillant comme si ça allait accélérer la cuisson ou le temps qui passe. Je dois encore tout peindre et tout cuir une deuxième fois.

Ce sont de longues heures que je passe à retourner toutes mes conclusions dans ma tête. Qu'est-ce que je peux faire, maintenant ? Trahir mon Maître ? Pour une fille qui ne veut pas de moi, même quand j'utilise mes pouvoirs ? Je vais juste me faire tuer, et elle avec s'ils l'apprennent. Après lui avoir apporté le service, je vais devoir disparaître, tenter de trouver une autre femme vierge à séduire dans le temps restant, et l'abandonner derrière moi. Laisser Charlotte à ses livres, et retourner dans ce château.

La panique m'enserre le ventre. Ces émotions fortes me donnent faim alors que j'ai mangé il y a deux jours à peine.

Peindre le service ne m'apaise pas plus. L'enfourner non plus. J'hésite à sortir à un moment... Mais quand je regarde par la fenêtre, je vois soudain un groupe de personnes avec le même sigle que la veille. Il a suffi d'une mort suspecte (et encore, j'ai vraiment fait de mon mieux) pour qu'ils rappliquent tous... Je suis dans la merde.

Dès que le service est fini, j'emballe tout avec rapidité et délicatesse et quitte la maison comme une ombre, la peur au ventre. Et si elle me chassait à coup de balais ? Si elle hurlait en me voyant ? Que se passerait-il ?

La librairie est fermée. Je sonne quand même en priant pour qu'elle m'ouvre.

Et elle m'ouvre. Avec des yeux tristes, apeurés, un peu contents de me voir quand même je pense, entourés de cernes, elle a l'air sèche, elle a l'air de ne pas comprendre, elle me regarde plusieurs secondes ainsi.

— Je peux rentrer ? demandé-je, certain qu'elle refermera la porte dans une seconde.

Mais contre tout attente, elle l'ouvre.

***

Bonjour à tous.tes !

Je ne fais jamais de petit mot perso à la fin mais aujourd'hui, je dois vous dire que j'ai une nouvelle qui va être publiée !!

Oui, oui, vous ne rêvez pas. Moi aussi j'ai du mal à y croire 💕

Le recueil est déjà en précommande, je vais mettre le lien sur mon babillard !

Zoubiii

Battement 📚🩸Où les histoires vivent. Découvrez maintenant