21 - La cachette

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Gabriel dépose délicatement le four à poterie dans l'arrière-boutique. Charlotte le regarde faire.

— Tu es sûr que ça ira ? demande encore la libraire.

— C'est plutôt pour toi que j'espère que ça ira, les caisses de bouquins dans le salon c'est pas idéal...

Elle hausse les épaules. Il se gratte les cheveux pour les rabattre en arrière. Il a remonté ses manches, et les deux premiers boutons de sa chemise sont ouverts. Charlotte regarde le creux de son cou, la manière dont son torse se resserre un peu à la taille... Elle le trouve déjà beau, mais là, elle a besoin d'air.

— Tu vas nous modeler quelque chose ? demande-t-elle pour essayer de faire diversion.

— Sans doute. Je vais peut-être même m'y mettre maintenant, tiens, sourit le vampire en préparant à la hâte son attirail.

— Parfait, parfait... Si tu n'as plus besoin de moi, je vais rouvrir la boutique.

— Fais donc, lui répond Gabriel.

Il a un sourire ravageur. La libraire sent la chaleur lui monter aux joues en retournant se poster derrière son comptoir. Une mamie de l'atelier lecture du quartier vient lui demander des recommandations sur le thème de la semaine. Charlotte la guide avec passion et patience. Elle lui tend bientôt son sac de papier kraft. Puis plus rien. Pendant plusieurs minutes. Presqu'une demi-heure.

Charlotte se lève. Elle entrouvre la porte de l'arrière-boutique. Gabriel est occupé. De là, un peu derrière lui mais suffisamment de profil, la libraire peut voir ses mains pleines d'argile et un bol prendre lentement forme. C'est déjà son deuxième, un premier est posé un peu plus loin. Il a des gestes lents et précis, il rejette la mèche devant ses yeux d'un mouvement de tête. Elle voit son regard reposé, ses mains humides, elle le regarde faire. Son cœur bat de plus en plus fort dans sa poitrine.

Charlotte jette un œil vers la porte de son magasin. Personne en vue. Elle se glisse dans l'arrière-boutique.

— Ça va ? demande Gabriel avec une voix très basse.

Il a perçu sa présence derrière lui mais il est quand même surpris de sentir les mains de la jeune femme sur ses épaules. Son pied actionnant le potier s'interrompt. Il frissonne. Elle est dans son dos, tout près. Ses mains abandonnent un instant l'ouvrage, mais comme elles sont pleines d'argile, il ne peut rien faire d'autre que les garder en suspension.

— Hum ? demande-t-il, fiévreux.

Les mains de Charlotte remontent sur son cou, elles encadrent son menton et la libraire lui tire gentiment la tête en arrière. Gabriel se laisse faire, il appuie apaisé ses cheveux contre la poitrine de la jeune femme. Il ne s'attendait pas à ces démonstrations de tendresse, mais il est encore plus surpris quand elle se penche lentement vers son visage. Pris de court, le vampire n'ose rien faire. Il ne bouge pas, il tremble à peine, mais son ventre est pris d'une violente vague de désir alors qu'elle approche ses lèvres. Charlotte laisse échapper un soupir anxieux, doux souffle chaud contre la bouche du vampire. Elle tremble aussi, désireuse, inquiète, ses émotions sont en pagaille dans son corps mais autour, tout est très silencieux, il n'y a que leurs souffles et leurs lèvres toutes proches l'une de l'autre. Elle attend de voir s'il la repousse, l'empêche, l'attire, mais Gabriel reste immobile, languissant, fébrile.

Avec une lenteur conscientisée, Charlotte franchit les derniers centimètres pour que leurs lèvres s'effleurent enfin, se rencontrent, s'explorent très délicatement, leurs bouches se caressent mutuellement plus qu'elles s'embrassent, ils ne pensent à rien d'autre qu'à ce tout petit contact et au feu qui les dévore de l'intérieur. L'atelier est silencieux et froid, leurs corps sont en ébulition juste parce qu'ils goûtent mutuellement pour la première fois à la chair de l'autre.

— C'est une vraie torture, susure Gabriel entre deux baisers.

— Quoi donc ?

Le vampire se contente de lever un peu les mains. Elles sont couvertes d'argile, tremblantes dans les airs, stupéfaites et inutiles.

— Tu permets que j'aille les laver ? supplie-t-il en décollant légèrement sa tête de la poitrine de la libraire.

— Oui, bredouille-t-elle dans un souffle en se redressant.

Elle tremble toujours quand il disparaît en un clin d'œil. Presque instantanément, elle entend le robinet de l'étage s'activer. Charlotte cligne des yeux. Elle ne l'avait encore jamais vu aller aussi vite.

Après quelques secondes d'hébètement, Gabriel apparaît sur le pas de la porte, le souffle mesuré, il regarde Charlotte intensément, immobile, il attend, il lui laisse un instant, elle hoche la tête, en un clin d'oeil il est devant elle, attrape son visage comme un tableau de Klimt, il l'amène à ses lèvres pour embrasser sa joue, sa pommette, le bout de son nez, il attrape sa bouche dans la sienne, Charlotte le prend par la taille, il l'attire encore plus près en emmêlant ses doigts dans ses cheveux et en houspillant ses lèvres, en la goûtant de tout son soûl. Leurs souffles et leurs salives se mélangent, leurs corps sont si proches, Charlotte se sent délicieusement assaillie, enveloppée de désir, elle sent tellement qu'il la veut que ça lui fait mal, et tellement de bien en même temps. Les livres ne mentaient pas sur la volupté extrême, sur les émotions délectables, elle veut être embrassée encore et encore, que ça ne s'arrête jamais, qu'il continue de tourmenter ses lèvres des siennes en parcourant son dos de caresses exaltées.

La clochette de la porte d'entrée retentit. Gabriel se fige. Il hésite un instant à reprendre comme si de rien n'était mais un coup d'œil au regard ivre de Charlotte l'en dissuade. Dommage que le travail n'attende pas.

Battement 📚🩸Opowieści tętniące życiem. Odkryj je teraz