17 - Les confessions

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TW 9.

***

— La virginité est une construction sociale, murmure Charlotte en se resservant une tasse.

— Si tu veux, mais on parle de magie millénaire, pas de considérations féministes modernes, répond Gabriel.

Il est midi passé, la libraire commence à avoir faim, mais elle n'arrive pas à interrompre la conversation.

— Donc je suis venu te chercher.

— C'est écrit sur mon visage que je suis vierge ? grince-t-elle.

— Non, le sang des vierges a juste une odeur un peu différente. En tous cas, je crois être à-peu-près au bout de l'histoire, la suite, tu la connais.

— Non, non, non ! Tu viens de commencer ! Attends, tu as vraiment connu Auschwitz ?

— J'ai vu Auschwitz. C'est très différent. Mais si tu veux que je te raconte l'Histoire avec un grand H, ça sera vraiment très long effectivement.

— Tu peux au moins me parler des vampires ? demande-t-elle, avide de savoir et toute peur momentanément envolée.

Gabriel lui adresse un petit rictus. Il essaye de ne pas montrer à quel point cette curiosité fait voler des papillons dans son ventre.

— Ça oui, si tu as des questions je p-

— J'ai vu que tu avais des cicatrices, est-ce que ça veut dire que vous ne vous régénérez pas ? demande-t-elle à toute vitesse.

Gabriel ouvre des yeux surpris. Le moins qu'il puisse dire, c'est que la libraire est observatrice.

— Effectivement, nous cicatrisons très rapidement mais ne nous régénérons pas. J'ai dû plusieurs fois me recasser le bras ou des choses comme ça. Un de mes amis a perdu un oeil qui n'a jamais repoussé... Ça, c'est dans les livres.

— D'accord. Tu n'as pas non plus l'air de craindre le soleil...

— En fait, je prends très facilement des coups de soleil. La peau est notre organe le plus fragile, donc certains d'entre nous font des mélanomes, des cancers quoi. Nous sommes donc très prudents avec ça.

— Et l'ail ?

— Je peux en manger. Comme de tout.

— Tu... Tu as tué des gens, du coup ?

Gabriel détourne le regard. Il reprend une gorgée de thé. Charlotte n'émet pas vraiment de jugement dans sa question, mais elle ne réalise probablement pas vraiment à quel point on peut tuer des gens en deux siècles.

— Des milliers, répond-il sobrement.

La libraire hoche la tête pensivement.

— Tu as essayé de me séduire ?

— Vrai, répond-il.

— Tu as séduit beaucoup de gens ?

Gabriel la fixe. Plusieurs secondes. Ça en devient un peu gênant.

— Bah quoi ? se défend la jeune femme en rougissant.

— Je serais tenté de répondre que ça ne te regarde pas, répond le vampire sur un ton sarcastique. Mais oui, j'ai séduit beaucoup de gens.

Charlotte réfléchit plusieurs minutes, les sourcils froncés.

— Qu'y a-t-il ? finit par demander le vampire.

— Eh bien, je sais que tu as vécu à d'autres époques, et que tu dois te sentir un peu au-dessus des humains, mais est-ce que... Tu as déjà forcé des gens ?

Gabriel s'étouffe avec son thé.

— Je t'ai dit que j'avais tué des milliers de personnes, mais ce qui t'inquiète c'est celles et ceux que j'ai pu violer ?

Charlotte le fixe droit dans les yeux et il ne sait plus où se mettre. Le vampire se renfonce dans son fauteuil en grommelant :

— Je me suis toujours fixé deux critères : que ces personnes soient sous mon charme, et qu'avoir une relation avec eux sans les tuer à la fin ne nuise pas à leur réputation.

— En gros, dit Charlotte en essayant de comprendre, tes victimes devaient être au moins persuadées d'être consentantes et ça ne devait pas compromettre leur statut social ?

— Voilà.

— Et en deux siècles d'existence, tu n'as jamais dérogé à cette règle ?

Gabriel hésite plusieurs secondes. Mais il se dit que la confiance de Charlotte est fragile. Il se doit d'être le plus honnête possible s'il veut espérer qu'elle le considère comme un ami.

— Une seule fois. Je peux te raconter, si tu veux.

Charlotte répond par un hochement de tête frénétique. Le vampire se sert une tasse, boit deux gorgées, passe une main dans ses cheveux pour se gratter le crâne.

— C'était en 1913, quelques mois avant l'appel de la guerre. Je vivais en France à cette époque. Et il y avait donc cette fille dans mon village. Elle avait vécu la plupart de sa vie en couvent, élevée par des sœurs, et avait été ramenée chez ses parents parce qu'elle était en profonde dépression. Les raisons pour lesquelles j'ai fait de cette personne une exception à mes règles, c'est qu'elle est tombée amoureuse de moi sans que je la charme. Je n'ai jamais utilisé mon pouvoir sur elle, puisqu'avoir une relation avec elle aurait compromis sa situation sociale : ses parents voulaient qu'elle soit bonne sœur. Et ils auraient peut-être accepté que quelqu'un l'épouse, mais je n'ai jamais pu faire une chose pareille. Malgré cela, elle est tombée amoureuse. Moi aussi sans doute. Ça n'a pas duré très longtemps puisque j'ai été appelé pour faire la guerre.

— T'es un romantique, en fait, lance Charlotte.

Gabriel, les yeux dans le vide, sourit.

— C'est ce que les autres vampires doivent penser de moi. Ils sont peu à prendre ce genre de directives. De toute façon, la plupart sont mordus dès le premier soir.

Charlotte frissonne. Gabriel lui a expliqué plus tôt qu'il ne l'aurait de toute façon pas mordue après le premier soir, mais quand même. Que se serait-il passé si elle s'était laissée entraîner, si elle avait innocemment laissé un peu de piment romantique rentrer dans sa vie ?

— Et maintenant ? demande-t-elle.

— Tu dois avoir faim, lui dit le vampire en regardant la pendule de la petite pièce.

— J'ai un peu la flemme de cuisiner.

Gabriel penche la tête sur le côté.

— Tu... Tu veux que je fasse à manger ? propose-t-il alors.

Charlotte écarquille les yeux.

— Oh... Avec plaisir.

Battement 📚🩸Dove le storie prendono vita. Scoprilo ora