6 - Chroniques | 1889

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TW 6, TW 8.

***

C'est la première fois que je prends le train. Le long monstre de vapeur, grognant, exaltant, fonçant, recueille de nombreux passagers de tout âge. Nous quittons Bruxelles-Midi en direction de Paris.

Je voyage depuis la demeure de mon Maître, en Allemagne. Et mon accompagnateur, Stanislas, a trouvé plus sympathique de passer par Bruxelles pour nous rendre à Paris.

- Tu n'étais pas encore né, en 1851 ? me demande-t-il d'un ton supérieur.

Il connaît la réponse.

- Non.

- C'est dommage d'avoir manqué la première Exposition Universelle, tout de même...

Je ne réponds pas. Je suis inquiété par les gens autour de moi. Je suis censé être supérieur aux humains. C'était facile à penser quand je servais le Maître depuis l'intérieur des murs de son château, et que les seuls humains que je voyais étaient ceux qu'on mangeait.

Mais là, dans la foule bavarde et joyeuse qui m'entoure, il y a quelque chose d'impressionnant. Ils rient, parlent, s'engueulent, et au-delà de leur odeur enivrante, autre chose me fascine.

Le train arrive en gare de Paris et la foule, dehors, est vraiment immense.

- Tu arriveras à résister à la soif ? me demande Stanislas.

Je hoche la tête. Ma soif de sang, probablement. Mon insatiable curiosité, un peu moins sans doute.

Les espaces où nous évoluons sont larges, et remplis de gens. Mais assez vite, nous sortons de la gare. Alors, nous tombons sur quelque chose d'impossible à ignorer.

- Je dois avouer que les humains redoublent de créativité ces derniers temps, reconnaît Stanislas en levant les yeux.

Je ne réponds pas, je suis abasourdi. Une gigantesque flèche de métal s'élance vers le ciel, plantée devant nous sur ses quatre pieds. J'apprendrai plus tard le nom de cette nouvelle apparition : La Tour Eiffel. La foule se masse pour traverser le pont qui nous sépare d'elle, passer dessous et au-delà, mes yeux de vampires distinguent sans peine les palais d'exposition, leurs entrées visibles depuis ma position.

- Pourquoi le Maître nous demande-t-il de venir ici ?

- Il veut faire de toi un espion, comme moi, se renfrogne Stanislas. Sa principale volonté est de surveiller les moindres faits et gestes des humains pour améliorer la tâche des chasseurs du château. Mais je dois t'avouer que, la plupart du temps, les missions qu'il nous donne n'ont pas beaucoup de sens.

J'ouvre de grands yeux. C'est la première fois que j'entends quelqu'un remettre en question une décision du Maître !

- C'est forcément sensé pour lui ! m'exclamé-je.

- Si tu le dis. En attendant, je vais te donner les deux choses qui, moi, m'amusent en expédition. La première, c'est la chasse libre ! Le Maître n'est pas là pour nous surveiller, et à condition d'être prudent et discret, on peut se nourrir à-peu-près comme on le souhaite.

Il aurait peut-être fallu éviter de me dire cela au milieu d'une foule de gens aux odeurs succulentes. Je réfrène du mieux que je peux la tentation de sauter au cou du vieil homme devant moi là, tout de suite. Ce serait le contraire d'être discret et prudent.

- Et... Et la deuxième ?

Stanislas sourit, me fait un clin d'œil, puis me désigne parmi la foule deux femmes cintrées dans leur corset et bombées de crinoline, avec de grands chapeaux à plume et d'élégantes ombrelles.

Battement 📚🩸Où les histoires vivent. Découvrez maintenant