34 - Chroniques | Gibbeuse croissante

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TW 8.

***

— Eh bien ? me demande Gontrand en haussant un sourcil.

Mes paupières peinent à se soulever. Je m'étire de tout mon long dans le lit. Il ne fait pas encore jour, mais je suis seul dans les draps... Stanislas est déjà reparti ?

— Debout là-dedans, me dit le vampire en me jetant hors du matelas.

Je roule et dérape sur la pierre, me redresse, lui hisse dessus, ça le fait rire.

— J'ai quelque chose à te montrer, me lance-t-il en apparaissant à mon côté pour me relever sans ménagement et m'entraîner par le bras.

— Mgn... J'ai du travail demain...

Visiblement, mes maigres résistances ne l'atteignent pas. Il me tient par le coude et me fait flâner dans les couloirs. Je ne sais pas pourquoi on marche lentement. Il a peut-être juste envie de profiter de ma présence tant qu'il peut m'embêter. Il ouvre une des portes en ébène.

— Pourquoi on monte là ? ronchonné-je.

Les escaliers en colimaçons des tours ne m'ont jamais inspiré confiance. La seule fois où je suis monté, c'était pourri, et je suis tombé, mon ventre s'en souvient encore...

— Tu vas voir, oh ! Rabas-joie, m'accuse-t-il.

Je vois par les meurtrières qu'il fait encore un peu sombre, dehors. Stanislas a dû partir vraiment très tôt, peut-être même dans la nuit. Il ne m'a pas réveillé, en tous cas. C'était bien, hier soir... J'avais chaud, j'étais entouré d'amour, je me saoulais de leur plaisir. J'espère qu'on se reverra tous les trois bientôt.

Les escaliers sont interminables. Je perds un peu mon souffle, et puis surtout je m'ennuie.

— Nous y voilà !

— C'est une trappe, Gontrand.

Il se met dessous et la pousse avec difficulté. Si un vampire galère à soulever une trappe, c'est qu'elle est vraiment très lourde...

Derrière, il y a le sommet de la tour. Gontrand me prend galamment la main pour les dernières marches. Le vent me fouette le visage. Le toit est rond, il repose sur de grosses colonnes de briques grises entre lesquelles passe le soleil. Le ciel est orange tout autour de nous, les montagnes font comme des découpes de papier bleu dans le paysage. L'astre du jour s'éveille. J'ai mal aux yeux mais pour rien au monde je ne veux laisser mes paupières me cacher la vue.

— Bon, ça en valait la peine, hein ? me souffle Gontrand avec un petit rire.

Ses mains me tiennent par la taille. Le vent le décoiffe.

— Oui, je murmure.

— Ce qu'il ne faut pas faire pour ton grand cœur de romantique, roucoule mon ami en m'attirant contre lui.

On s'embrasse. Ses lèvres sont froides et gercées, ses dents attrapent ma bouche. C'est un de ces baisers taquins dont il a le secret. En quelle année c'était, déjà ?

Je tiens Charlotte si fort contre mon dos que j'ai peur de lui faire mal, mais j'ai tout aussi peur de déserrer ma prise. Stanislas a son grimoire, moi j'ai ma compagne, et nous détalons dans les couloirs, poursuivis par une armée de vampires dont j'entends les griffes sur le carrelage quelques dizaines de mètres derrière moi à peine.

— Par ici ! hurle mon compatriote.

Je ne sais pas pourquoi il me demande de tourner dans ce couloir, mais je le suis. Nous montons dans les escaliers en colimaçons d'une tour.

— Vous comptez sortir par où ? crie Charlotte à mes oreilles.

Personne ne lui répond, et ça ne peut pas être moi : je n'ai pas la réponse. Je me contente de foncer. Nous déboulons sur le toit ouvert, et Stanislas referme une lourde trappe en bois derrière nous.

— Tu crois vraiment que ça va les arrêter ? hurlé-je, erratique, en pleine panique.

Mon ami soupire. Je regarde un peu autour de nous. Le toit de la tour tient sur des colonnes de pierres, autour il n'y a que la nuit vide. Le vent se prend dans la robe de Charlotte.

Il y a un vieil avion à hélices propulsives. Quelqu'un frappe contre la trappe.

— Tout le monde à bord et vite ! ordonne Stanislas.

L'hélice s'allume, on se serre dans le kayak qui serre de cockpit, la trappe s'ouvre, l'avion s'élance dans le vide, les vampires sortent et se massent sur la plateforme, nous tombons dans les airs. Je m'accroche fort à Charlotte, elle hurle, le vent m'agresse la peau, j'ai l'estomac qui remonte dans la gorge, l'avion torpille vers le bas, c'est la fin.

Puis soudain on se redresse. Les ailes frôlent la muraille.

L'avion plane. L'hélice est bruyante. J'ai le souffle de Charlotte dans mon cou. On est vivants. On est dehors.

Quelque part à quelques milliers de kilomètres d'ici, si tout va bien, Nicholas lance la partie 2 du plan. Qui aboutira peut-être, ou peut-être pas.

Ça n'a pas d'importance. Stanislas avait tout prévu, il pilote d'une main, dans la nuit, cette petite merveille. Il sifflote. Il est satisfait, comme quand il fume son cigare après l'amour. J'ai dans mon dos une femme merveilleuse que je viens de sauver. Et devant, entre les jambes de mon vieil ami, il y a un grimoire.

Qui contient, je l'espère, notre liberté.

Battement 📚🩸Where stories live. Discover now