9 - ANTOINE (1/2)(✔️)

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L'aube filtrait à travers les nombreuses fissures de la voûte. Antoine regardait les rayons gagner en intensité, promesse d'une journée sans orages. Peut-être même que le ciel se fendrait d'une éclaircie. On pouvait toujours en rêver.

Les chandelles placées sur la rampe s'étaient noyées depuis plusieurs heures dans un grésillement de cire et un râle de fumée.

Antoine n'avait pas fermé l'œil. Son esprit ressassait les événements de la veille en une boucle sans fin, comme pour en démêler les fils. Il essayait d'imaginer ce qu'il aurait pu faire différemment, rembobinant parfois dans ses souvenirs plusieurs années en arrière.

Il savait que ruminer était vain. Ce qui était tissé ne pouvait se défaire, et il ne remonterait jamais le temps. On n'échappait pas aux lois de la physique.

Son regard tomba sur la magicienne assoupie.

À quelques exceptions près...

Plusieurs fois, il avait songé à se dédire. Il aurait pu profiter de son sommeil, s'enfuir seul, et disparaître à tout jamais. La tentation était grande.

Qu'elle se débrouille après tout ! C'était aussi sa faute s'ils se trouvaient dans un tel marasme.

Pourtant quelque chose l'avait retenu. Un reste de conscience et d'honneur peut-être. Ou bien son aveu concernant Louise.

Il se traita d'imbécile à de nombreuses reprises sans jamais se résoudre à déserter.

Dans les coulisses, les ronflements de Jean couvraient la respiration agitée de Mirabelle. Les paupières de la jeune femme tressautaient et de temps à autre un gémissement franchissait ses lèvres. Il l'observa en se demandant ce qui pouvait bien faire cauchemarder les magiciennes dans son genre.

La guillotine, probablement.

Machinalement, il se massa le cou, comme pour vérifier qu'il était toujours rattaché à sa tête. Un frisson lui secoua l'échine.

Ses muscles ankylosés par une nuit inconfortable parurent grincer sous sa peau comme un vieux mécanisme rouillé. Il se redressa pour s'étirer avec un grognement et fit craquer ses articulations. La magicienne ouvrit brusquement les yeux. Il recula prudemment, peu désireux de prendre une décharge par inadvertance.

— Il est l'heure, souffla-t-il.

La fatigue se dessinait sur ses traits tirés lorsqu'elle posa un regard dépité sur le théâtre. Il fallait bien admettre que sans la lueur des bougies, les lieux perdaient toute leur aura surnaturelle. Telle une Cendrillon rentrée trop tard de son bal, le charme dissipé par le matin ne laissait derrière lui qu'un amas de gravats, de déchets en tout genre et de velours mité.

Pour toute toilette, elle rassembla ses cheveux défaits en une unique tresse.

Antoine la regarda faire, suivant le mouvement agile de ses doigts qui entortillaient les longues mèches.

— J'ai quelque chose sur le visage ? grogna la magicienne. Pourquoi me fixez-vous ainsi ?

— Pour rien.

Il se détourna pour sauter au bas de la scène.

— Allons-y.

Ils sortirent comme des ombres, empruntant le même accès par lequel ils étaient entrés. La porte n'était verrouillée de l'intérieur que par un loquet d'acier qu'Antoine souleva sans effort. Mirabelle le regarda faire, en retrait.

Il tint le battant de fer pour la laisser passer tout en guettant la rue. À cette heure de la matinée, le quartier dormait profondément. En dehors des roucoulades de quelques pigeons avides de picorer les reliquats de la fête, il n'y avait pas un rat.

Les Accords ÉlectriquesWhere stories live. Discover now