29 - ANTOINE

48 13 53
                                    

Il plongea avec l'impression de traverser un mur pour un autre monde. Un monde en camaïeu de bleu, où les sons lui parvenaient assourdis, déformés. Une vague charriant des restes du vaisseau les percuta. Un fragment de balustrade frappa l'arrière de son crâne et des étincelles lumineuses dansèrent dans son champ de vision. Il relâcha malgré lui la main de Mirabelle.

Des débris parfois encore brûlants pleuvaient autour de lui, striant les eaux de salves effervescentes. Les bulles tournoyaient, brouillaient sa vision. Au-dessus de sa tête, la lumière du jour scintillait, si proche, si attrayante... Quelques brasses, à peine.

Tout son corps lui hurlait de remonter, mais son esprit s'y refusait. Il exhorta ses poumons à tenir encore.

Juste un peu.

Juste assez.

Son regard balayait désespérément les eaux.

Il la repéra, à quelques mètres en contrebas. Ses jupes s'évasaient en corolle ondoyante autour de ses jambes. Livide, elle se laissait porter par le courant comme une poupée de chiffon.

Il nagea avec toute l'énergie qu'il lui restait. Ses muscles ankylosés par le froid poussaient des hurlements qui remontaient jusque dans ses os. L'eau amplifiait le bourdonnement du sang à ses oreilles.

Il tendit la main pour la cueillir. Elle ne réagit pas. Le cristal pulsait toujours à son cou. Il arracha la chaîne d'un geste rageur et battit des jambes, mû par un instinct de survie animal. Tout ce qui lui importait ne se résumait plus qu'aux faisceaux prometteurs de la surface.

Il creva la crête des vagues en aspirant une profonde goulée d'air mêlée d'eau de mer. Des points noirs brouillaient son champ de vision.

Les courants ne cessaient de les harceler et garder Mirabelle contre lui avec le poids de ses jupons devenait de plus en plus difficile. Il s'épuisait, déployant une énergie folle rien que pour maintenir leur tête hors de l'eau. Les quais de Copenhague lui paraissaient si loin à présent. Les silhouettes brumeuses des mâts sur le port se détachaient à peine sur la côte grisâtre. Ils n'y arriveraient pas.

Ses mouvements ralentirent, il ne sentait presque plus ses bras. Les cheveux noirs de Mirabelle s'enroulaient dans l'eau. Il pressa son corps glacé pour tenter de lui prodiguer un semblant de chaleur. Son regard se tourna vers le ciel alors qu'il se laissait dériver. Il dut perdre connaissance pour un court instant. Des cris le tirèrent de sa torpeur et il sentit des mains le saisir par les aisselles et le soulever. Le vent frais sur ses vêtements trempés le fit trembler. On le traîna sur un sol dur et tiède. Il devina la surface rugueuse du bois.

On jeta une veste imprégnée de chaleur sur ses épaules.

— Il a l'air vivant et ordinaire celui-là, lança une voix bourrue. L'autre ?

— Magicienne. Elle respire pas.

— Bon. Remettez-moi ça à l'eau, on n'a pas la place.

Antoine se redressa d'un coup. Sa vision s'éclaircit pour lui révéler le pont d'un petit rafiot de pêche, toute voile dehors sur lequel se pressait une dizaine de naufragés détrempés et grelottants. Un homme grincheux, le visage mangé par une barbe grisâtre tenait la barre et maugréait en danois. Deux membres de l'équipage du zeppelin, reconnaissable à leurs vestes blanches, qui ne l'étaient plus tout à fait, soulevaient le corps de Mirabelle et s'apprêtaient à la jeter par-dessus bord.

Il bondit en avant.

— Arrêtez !

Il agrippa le bras d'un des hommes, et ce dernier dut relâcher la magicienne pour se dégager.

Les Accords ÉlectriquesWhere stories live. Discover now