26 - ANTOINE

49 12 54
                                    

Le placard lambrissé sentait l'huile de lin à lui en faire tourner la tête. Une obscurité épaisse l'enveloppait comme une couverture étouffante et il avait perdu toute notion du temps.

Les derniers mots du prince hantaient cet espace confiné.

Nous ne sommes pas de la même race, vous et moi. Tout comme elle et vous.

Il avait beau cogner le bois de la porte à s'en écorcher les phalanges, hurler à se déchirer la voix, rien n'y avait fait. Il était trop loin, isolé quelque part au plus profond des entrailles du vaisseau. Personne ne l'entendait et personne ne répondrait.

L'épuisement avait fini par avoir raison de lui. Il somnolait assis à même le plancher, dans un état comateux et une position inconfortable. Des rêves éveillés et des questions sans réponses ne cessaient de le harceler. Il se revoyait danser avec Mirabelle, aveuglé par les lumières, étourdi par la musique lancinante qui se jouait sous son crâne. Il avait l'impression qu'elle glissait entre ses bras, comme un courant d'air et lui échappait un peu plus à chaque mouvement. Une seconde plus tard, elle tournoyait avec le prince et éclatait de rire. Quels mensonges lui murmurait-il à l'oreille pour qu'un tel sourire éclaire son visage ?

Et puis, il avait Louise.

Sa nièce lui apparut à plusieurs reprises, pour sangloter en lui reprochant de l'avoir abandonnée. Chaque fois l'image de la fillette se présentait les poignets lacérés de brulures à vif, semblables aux marques que portait Mirabelle. Cette vision le rendait malade d'horreur.

Lorsque son esprit s'extirpait de ces hallucinations, ses pensées filaient auprès de Charles et de Zélie. Dans quel désespoir se retrouvaient-ils par sa faute ?

Des larmes brulantes de frustration et de rage coulaient le long de ses joues. Sa propre impuissance le rendait fou, tout comme ce sentiment intolérable d'être aussi insignifiant qu'un insecte, à l'image de ceux que Violeta épinglait sur ses jupes.

À un certain point, la fatigue l'emporta, le plongeant dans une inconscience bénie où aucun regret ne venait plus le tourmenter.

Lorsqu'il ouvrit les yeux, un rayon de jour s'effilochait par le cadre de la porte.

L'aube était levée.

Ses yeux habitués à la pénombre discernèrent les contours du cagibi. Les étagères au-dessus de lui abritaient des uniformes soigneusement pliés et des casquettes de marin. Un seau en fer patientait dans un coin, probablement laissé là en guise de pot de chambre.

Il déplia ses jambes avec l'impression de les entendre craquer comme du parchemin qu'on déroule. Il grimaça quand un fourmillement désagréable remonta ses muscles ankylosés.

Néanmoins, la lumière, bien que ténue, avait chassé les cauchemars et entraînait dans son sillage une vigueur nouvelle. Il se redressa, résolu à trouver un moyen de quitter cette cage dans laquelle le prince espérait le maintenir.

Il se pencha pour jeter un œil à travers l'orifice de la serrure. Ce n'était pas un verrou de geôle encore moins un coffre-fort, juste un placard de service sans grand intérêt. Le mécanisme ne devrait pas être bien compliqué à crocheter.

Il inspecta les étagères, renversa les piles d'uniformes, et passa une main sur les planches, concentré, jusqu'à sentir sa peau accrocher une aspérité.

Un clou.

La tête mal enfoncée débordait du bois et il s'échina un moment dessus jusqu'à parvenir à l'arracher. Il n'était pas très long, mais cela ferait l'affaire. Il tordit la pointe, jusqu'à obtenir un crochet rudimentaire qu'il glissa avec appréhension dans la serrure.

Les Accords ÉlectriquesWhere stories live. Discover now