Les Accords Électriques

20 - MIRABELLE (1/2)

Mirabelle jetait de temps à autre des regards furtifs sur la tablée d'Antoine. À cette distance elle ne parvenait pas à deviner la teneur des conversations que menaient Adélaïde et Arthur à ses côtés, et la figure morose du jeune homme était le seul indice dont elle disposait.

Elle ne pouvait rien faire d'autre que ronger son frein en espérant qu'il appliquerait ses recommandations.

— Vous êtes distraite.

Elle tourna vivement la tête vers le prince qui l'étudiait de son regard bleu glacier. Il tourna délicatement le vin dans son verre et prit une gorgée en désignant Antoine d'un discret signe du menton.

— Je dois vous avouer mademoiselle d'Aubenas, je n'ai de cesse de m'étonner du peu de ressemblance entre votre frère et vous.

La magicienne sentit une chaleur importune enflammer sa gorge. Elle détourna le visage, pour héler un des valets chargés de remplir les verres.

« Ressaisis-toi ! » Se houspilla-t-elle.

— Ma remarque était-elle intrusive ? s'enquit le prince.

— Puis-je vous faire une confidence ? déclara-t-elle avec un sourire timide.

Il se pencha imperceptiblement vers elle, sa curiosité visiblement piquée.

— Vous m'intimidez, souffla-t-elle.

Elle n'eut pas trop d'effort à fournir pour sembler convaincante. La rougeur qui envahissait son cou jusqu'à ses oreilles parlait pour elle.

Le prince eut un mouvement de surprise.

— Eh bien, c'est décidé ! Vous et votre frère n'avez décidément rien en commun. Je crois que je ne l'intimide pas le moins du monde !

Elle prit une gorgée de champagne. L'amertume de l'alcool la fit grimacer.

— Ne vous en formalisez pas, peu de choses en ce monde semblent susceptibles de l'intimider... Vous avez des frères ou des sœurs ? questionna-t-elle en reposant son verre.

— Je suis fils cadet. J'ai un frère et deux sœurs.

— Vous vous ressemblez beaucoup, j'imagine ?

Le prince marqua un temps d'arrêt.

— Physiquement, oui. Pour le reste...

Il haussa les épaules d'un air fataliste.

— Je suis l'original de la famille. L'armée ne m'a guère passionné, la politique non plus. On a bien tenté de me promettre une chaire d'enseignement à l'académie de magie de Moscou, mais la poussière des amphithéâtres me rebute. Un jeune homme même pas majeur, et sans aucune responsabilité, vous pensez bien... Le monde me semblait trop vaste, trop riche et plein de promesses pour m'abîmer les yeux dans des bibliothèques obscures. Je n'avais qu'une seule envie : voyager ! Du reste, mon frère aîné tient déjà lieu d'héritier, grand bien lui fasse ! La place de suppléant offre de nombreux avantages.

Il prit une gorgée de vin avant de reposer son verre, sans cesser d'en faire tourner le pied de cristal entre ses longs doigts aux ongles limés.

— Donc... vous vous êtes installés à Londres ? proposa Mirabelle.

— Oh non pas immédiatement... gloussa le prince. Vous m'auriez vu, il y a sept ans de cela... Suffisant et perpétuellement insatisfait du haut de mes vingt ans.... Il n'était pas question de s'installer où que ce soit.

Mirabelle acquiesça d'un air absent et son regard voleta en direction d'Antoine.

— Oui, je vois très bien...