23 - MIRABELLE

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Mirabelle s'efforçait de suivre la cadence imposée par Antoine malgré les flageolements de ses jambes. À mesure qu'ils s'éloignaient du moteur, le flux reprenait sa forme d'origine et la tension sous son crâne régressait. Elle gardait pourtant gravée dans sa mémoire la sensation affreuse que les aubes de la machine lui arrachaient, morceau par morceau, quelque chose de précieux.

Elle fixa le dos d'Antoine, s'attardant sur la ligne raide de ses épaules. Le silence entre eux était aussi assourdissant que les grondements du tonnerre au-dehors. Le fouet de la pluie contre les hublots semblait calé sur le rythme de son pas sec.

— Je sais que j'aurais dû vous parler de ce que m'a confié le prince, murmura-t-elle. Au sujet de cette possible guerre...

— Oui, vous auriez dû, répliqua-t-il d'une voix cassante.

— Êtes-vous vraiment fâché contre moi, ou est-ce l'attitude de Becquerel qui vous rend si irritable ?

Il poussa un grognement sans répondre. Elle pressa le pas pour se mettre à sa hauteur. Son visage fermé ne présageait rien de bon.

— Que comptez-vous faire à présent ?

— Pourquoi vous le dirais-je ? Si c'est pour que vous me dissuadiez encore d'agir...

— Je vous avais mis en garde pour votre bien...

Il leva les bras au ciel.

— Pour mon bien ! Entre Auguste qui s'approprie mes recherches pour me protéger et vous qui surveillez mes moindres faits et gestes, je me demande encore où se situe mon intérêt !

Un hublot projeta le flash d'un éclair sur son visage, découpant des angles durs qu'elle n'avait jamais remarqués auparavant.

— Vos manœuvres sont à votre seul bénéfice. Voilà la vérité. Vous ne cherchez qu'un moyen de tourner toute cette situation à votre avantage ou à celui de vos pairs. Je me demande bien quelles croustillantes informations vous dissimulez encore sous vos jupons. Vais-je apprendre par hasard que vous travaillez pour le recteur depuis le début ? Que vous saviez que Becquerel se trouverait ici ? Ou bien que vous commercez en secret avec Solstörm pour approvisionner en cristaux la moitié des magiciens d'Europe ?

— Vous délirez.

— Ah oui ? J'ai pourtant toutes les raisons de me méfier. De nous deux, c'est vous la criminelle.

La magicienne s'arrêta en plein couloir, soufflée. L'accusation lui faisait plus mal que ce qu'elle n'aurait cru possible.

— Si j'avais souhaité vous nuire, je n'aurais pas respecté la promesse que je vous ai faite, répliqua-t-elle. J'aurais usé de ma magie, et vous aurais abandonné à la première occasion pour ne pas m'embarrasser d'un...

Elle hésita.

— Un quoi ? releva Antoine d'une voix doucereuse. Allez-y, dites-le !

Mirabelle se mordit les lèvres et recula d'un pas.

— Un ordinaire incapable, acheva-t-il à sa place. C'est bien cela que vous pensez des gens comme moi, n'est-ce pas ?

Il secoua la tête avant de poursuivre :

— Vous m'avez demandé ce que je comptais faire ? Eh bien je quitte ce maudit Zeppelin. N'ayez crainte, je ne vous embarrasserai pas plus longtemps et saurai à l'avenir me tenir à l'écart des machinations des magiciens. Profitez bien de votre croisière et de vos amis suprémagistes.

— Et Louise ?

Il se figea.

— Vous n'avez plus à feindre de vous en inquiéter.

Les Accords ÉlectriquesWhere stories live. Discover now