20 - MIRABELLE (2/2)

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Les domestiques apportèrent le dessert. Un petit gâteau étagé de plusieurs couches dégageant un fort parfum de miel. Mirabelle en prit une bouchée et plissa les lèvres. La pâte, collante et liquoreuse envahissait sa bouche en même temps que la crème épaisse de la garniture. Elle reposa sa cuillère, écœurée.

— Comment va votre jeune sœur, Alexeï ? demanda un magicien à la gauche du prince. On la dit déjà promise à un beau mariage...

Les conversations se poursuivirent avec entrain sur des questions familiales auxquelles Mirabelle ne parvenait pas à s'intéresser. Son esprit tournait en boucle sur les prédictions inquiétantes d'Alexeï. Le prestige perdu des magiciens. La censure des académies. L'extermination des magiciens en orient... Et cette crise qu'il annonçait. Elle avait la sensation de jouer avec l'échiquier du recteur, d'en reconnaître chaque pièce, mais d'être incapable de comprendre leur déplacement sur les cases du plateau.

Elle leva le nez du gâteau à peine entamé pour chercher le regard d'Antoine.

Peut-être devrait-elle partager les mots du prince avec lui. Elle ne doutait pas un seul instant des capacités de déductions de son cerveau d'ingénieur.

Mais si un conflit devait opposer les magiciens aux « ordinaires » comme les appelait le prince, pourrait-elle toujours compter sur lui ? Rien n'était moins sûr.

Et moi ? songeait-elle. Que deviendrait ma promesse envers Antoine dans un tel contexte ?

Une idée vicieuse se faufila dans son esprit.

Tu devras peut-être le trahir avant qu'il ne le fasse.

Le pourrait-elle ?

Une pression désagréable comprima sa poitrine. Elle se sentait soudain à l'étroit dans cette immense salle à manger. L'air lui manquait. Une goutte de sueur glacée coula entre ses omoplates.

— Vous êtes pâle, s'inquiéta le prince.

— Je ne me sens pas très bien...

— Vous avez à peine mangé, seriez-vous souffrante ? Il y a un médecin à bord vous savez je peux le faire mander tout de suite pour vous examiner.

— Non merci, souffla la jeune femme. Juste un manque d'air, je crois...

Il se redressa et lui tendit galamment sa main.

— Allons faire un tour dehors. L'air frais vous fera du bien. Je vous accompagne.

Mirabelle marqua une seconde d'hésitation. Elle jeta un coup d'œil en biais sur Antoine, puis sur la coursive qui longeait les baies vitrées de la salle de réception. Maintenir l'illusion autour du jeune homme serait impossible depuis l'extérieur. D'un autre côté, ses voisins de table s'étaient complètement désintéressés de lui. Dans cette atmosphère où les courants du flux naviguaient sans arrêt d'un magicien à l'autre, personne ne verrait la différence.

Juste cinq minutes, songea-t-elle

— Avec plaisir, déclara-t-elle en acceptant la main du prince.

Alors que ce dernier la guidait vers la promenade du pont extérieur, elle sentit sur sa nuque le poids du regard d'Antoine, aussi brûlant qu'un collier de fer sur sa peau.

Lorsqu'ils passèrent la double porte vitrée menant au pont, un courant d'air glacé s'infiltra sous la dentelle légère de son jupon. Elle frissonna.

— Vous êtes fiévreuse ? demanda le prince.

Sur un signe de sa part, un valet accouru avec sa capeline de laine. Il la plaça sur ses épaules avec sollicitude.

Les Accords ÉlectriquesWhere stories live. Discover now