25 - MIRABELLE (2/2)

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Dans l'immense salle à manger, les regards se tournèrent avec curiosité vers eux. Une silhouette vêtue de parme se précipita à leur rencontre.

— Mirabelle, ma chère, nous vous avons cru souffrante ! Quelle mine épouvantable ! Je parie que c'est cette vilaine tempête qui vous a tenue éveillée ! Je n'ai moi-même pas pu fermer l'œil de la nuit... Et votre frère ? Où est-il ?

— Nous verrons ceci plus tard Violeta, la rabroua le prince avec un sourire. Laissez-là au moins prendre une tasse de thé.

— Naturellement, naturellement.

Solstörm tira une chaise à son intention. Comme une poupée de cire, Mirabelle se laissa faire. On lui servit un thé fumant dans laquelle elle s'abîma un long moment. Les volutes de vapeur s'enroulaient de manière hypnotique sous ses yeux.

— Mangez quelque chose, je vous en prie, insista le Prince en glissant sous son nez un roulé à la cannelle. On dit en Russie qu'un bon petit-déjeuner soigne tous les maux de l'âme.

— Vraiment, on dit cela ? murmura-t-elle d'une voix absente.

Il grimaça.

— Non pas vraiment. Je viens de l'inventer. Mais ça ne veut pas dire que c'est faux !

Elle le gratifia d'un sourire forcé et consentit à grignoter du bout des lèvres un bout de pâtisserie.

— Maintenant que le temps est clair, j'ai bon espoir que nous parvenions à relier Saint-Pétersbourg avant la fin de l'après-midi.

Mirabelle hocha la tête. Un picotement désagréable lui chatouilla la nuque et lui fit tourner la tête. À une autre table, le visage contracté par l'irritation, le recteur la toisait avec une morgue chargée de menaces.

Un malaise diffus persistait à la tourmenter, mais elle se fit violence pour le chasser. Elle n'avait plus aucune raison de craindre cet homme : sa stupide partie d'échecs s'achevait avec la défection d'Antoine.

Un mince sourire, un vrai cette fois, fendit son visage. Au moins n'était-elle pas la seule à s'être fait berner par l'ingénieur. Elle ne tirait qu'une maigre satisfaction de ce constat, mais tout réconfort demeurait bon à prendre.

Le prince se redressa et réclama l'attention des passagers par-dessus le brouhaha des conversations.

— Mes amis, je tiens encore une fois à vous remercier pour votre présence ici aujourd'hui. Je m'excuse pour les désagréments climatiques qui ont écourté notre soirée hier, mais je vous promets de me racheter lorsque nous poserons le pied à Saint-Pétersbourg. Il ne sera pas dit qu'un Solstörm aura manqué à son devoir d'hôte.

Quelques rires et applaudissements lui répondirent. Il glissa un regard oblique sur Mirabelle et ajouta avec un léger sourire :

— Il se pourrait en outre qu'une excellente nouvelle vienne donner une tournure plus personnelle à ces réjouissances. Mais je crois qu'il vaut mieux réserver ce plaisir pour un autre moment. Une seule annonce à la fois, et je ne tiens pas à ce que l'une éclipse l'autre.

Mirabelle manqua de s'étrangler. Elle n'avait pas vraiment accepté sa demande qu'il annonçait déjà à demi-mot leurs fiançailles !

Il n'y a que votre sang gorgé de magie qui l'attire

Elle saisit sa tasse d'une main tremblante. La voix d'Antoine susurrait à son oreille comme pour mieux la tourmenter. Le thé amer lui brûla la langue et elle le reposa brusquement dans sa coupelle. La porcelaine résonna. Sa colère aussi.

Quel choix lui restait-il de toute manière ? Elle devrait se résigner à recevoir sous peu un défilé de félicitations et de vœux de bonheur. Autant se préparer dès à présent à ce rôle de fiancée épanouie.

Les Accords ÉlectriquesWhere stories live. Discover now