12 - ANTOINE (1/2)

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Le grondement de la sirène explosa sous son crâne comme une armée d'échardes. Les cris railleurs des mouettes au-dehors achevèrent de lacérer son cerveau meurtri. Antoine plissa les paupières sous la lumière de l'aube qui jaillissait de l'unique hublot de la cabine. Sa langue avait doublé de volume contre son palais et était aussi sèche qu'un quignon de pain de plusieurs jours.

Il tenta de se redresser et un gémissement lui échappa. L'odeur de whiskey bon marché imprégnait ses vêtements.

Des vêtements noirs.

De magiciens.

— Qu'est-ce que...

Les souvenirs flous lui revinrent par fragments. L'etherium, le bateau, l'Angleterre... la gifle.

Il se frotta la joue avec un grognement et la voix de Zélie résonna à ses oreilles

« Tu ne l'as pas volée celle-là ! »

Il se souvint de la colère, la frustration et... Il ne savait trop quoi d'autre. Quelque chose qu'il avait souhaité étouffer, vite et bien. Surtout vite. Il avait retrouvé les marins sur le pont. Il se rappelait leur méfiance au premier abord... La faute à cette stupide tenue de mage. Le reste... Il eut beau se concentrer il ne parvenait pas à se remémorer la suite.

Il passa une main dans ses cheveux ébouriffés et un mouvement de l'autre côté de la pièce lui fit tourner la tête. Mirabelle jetait sur lui un regard indéchiffrable. Son visage était un masque de pierre. Un sentiment de malaise désagréable, qui n'avait rien à voir avec les excès de la veille, le fit grimacer.

— Bien, déclara-t-elle en achevant d'ajuster sa coiffure. Maintenant que vous êtes réveillé et à peu près sobre, nous allons pouvoir envisager de quitter ce maudit bateau.

Il nota les cernes sous ses yeux et sa robe froissée.

— Qu'est-ce que...

— Ne perdons pas plus de temps, coupa-t-elle d'une voix dure.

Elle sortit de la cabine d'un pas pressé. Il empoigna la capeline d'Emily abandonnée sur le secrétaire et la talonna en plissant le front sous les assauts de la gueule de bois.

— Mirabelle, attendez, s'écria-t-il. Au sujet d'hier...

La jeune femme se raidit au pied des marches. Lentement, elle se retourna pour lui faire face, l'expression froide. Son regard d'encre ne laissait rien transparaître, mais il pouvait sentir la colère sourdre à en piquer sa peau.

— Je tenais à vous présenter mes excuses... bafouilla-t-il. Je me suis comporté comme un imbécile.

Elle pencha la tête sur le côté et fronça les sourcils.

— Non je ne dirais pas cela.

Antoine cligna des yeux, désorienté. Mirabelle se rapprocha. Il déglutit, la bouche encore plus sèche qu'à son réveil et retint son souffle :

— Je dirais plutôt que vous êtes le plus grossier des imbéciles, Antoine Reynaud, siffla-t-elle en lui jetant à la figure son regard le plus incendiaire. Insultez-moi encore une fois, une seule, avec votre arrogance de coureur de jupons et je vous promets un avant-goût de l'enfer que vous craignez tant.

Elle recula d'un pas.

— Dépêchons-nous, je tuerais pour un bain.

Antoine frissonna, en se sentant particulièrement visé par cette dernière affirmation.

Ils émergèrent de la cale sous un vent frais. L'odeur de la mer s'était atténuée pour laisser place à des parfums bien moins agréables de vase mêlés aux relents nauséabonds de la ville. L'estomac d'Antoine se souleva et il faillit se précipiter contre le bastingage pour mieux y vomir. Des fumées noires, comme autant d'oriflammes funèbres s'entortillaient dans un ciel voilé. Sur le pont, les marins s'affairaient déjà à charger quelques cargaisons et des dockers hurlaient dans un anglais ronflant.

Les Accords ÉlectriquesWhere stories live. Discover now