22 - ANTOINE

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Il n'en croyait pas ses yeux. Une impression étrange que des années s'étaient écoulées depuis leur dernière entrevue le frappa avec violence.

Quelques dizaines de secondes filèrent avant qu'il ne retrouve l'usage de sa langue.

— L'ingénierie comble les manques de la nature, siffla-t-il en serrant les poings.

— La nature ne souffre d'aucun manque, ce sont les hommes qui persistent à lui en trouver.

— Nous avons déjà eu cette conversation.

— En effet. Tu es resté borné.

L'envie de planter son poing serré dans la mâchoire de l'intrus pour lui faire ravaler sa condescendance le rongeait.

— Vous vous connaissez ? hésita Mirabelle à ses côtés.

— Oh oui, je le connais, cracha Antoine. Il m'a volé plusieurs mois de recherches et s'est enfui de la plus lâche des façons en mettant la clé sous la porte de mon laboratoire...

Ton laboratoire ? releva l'autre en haussant un sourcil. Ne nous enflammons pas. Tu n'étais que mon assistant.

Le visage de Mirabelle s'éclaira et une expression de surprise se peignit sur ses traits.

— Vous êtes Auguste Becquerel ?

— Ma réputation me précède, on dirait.

Antoine grimaça. Le ton docte et les manières empruntées d'Auguste l'avaient toujours profondément irrité. Il glissa une main dans la poche intérieure de son frac et en sortit les feuillets qu'il gardait en permanence sur lui.

— Vous avez déguerpi en emportant mes formules avec vous. J'en ai la preuve ici !

Auguste lui arracha les papiers des mains avec une rapidité surprenante. Il jeta à peine un regard aux équations griffonnées, les déchira en deux et balança les lambeaux par-dessus son épaule. Antoine poussa un hoquet étranglé.

— Des formules incomplètes et des calculs erronés, commenta Auguste

— Sur lesquels vous ne vous êtes jamais appuyés, cela va de soi...

Son ancien maître plissa les yeux.

— Tu n'aurais jamais pu créer un convecteur à flux seul, Antoine. Je veux bien reconnaître que tu étais brillant, probablement un de mes élèves les plus prometteurs, mais tu as toujours été trop impatient. Tes expériences imprudentes auraient fini par faire sauter le laboratoire.

— Était-ce une raison suffisante pour disparaître avec tout mon travail ?

Notre travail, corrigea Becquerel. J'ai jugé préférable de te protéger de tout ce que nos découvertes impliquaient...

— Difficile de protéger Antoine de son manque de bon sens, ironisa Mirabelle.

Auguste lui glissa un regard oblique et plissa le front. Il détailla la magicienne de haut en bas.

— Qui êtes-vous au juste ?

— Mirabelle d'Aubenas, magicienne originaire de l'académie de Lyon transférée à Paris...

Un pli écœuré déforma la lèvre inférieure d'Auguste. Il reporta son attention sur Antoine.

— Tu fréquentes les mages maintenant ?

— Vous travaillez bien pour eux, rétorqua le jeune homme. Qu'est-ce que ça peut vous faire ?

Le visage du savant se ferma et un masque de froideur glaça ses traits.

Les Accords ÉlectriquesWhere stories live. Discover now