17 - ANTOINE (1/2)

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L'agitation était à son comble sur la pelouse de Hyde park qui avait accueilli le Crystal Palace à peine deux ans auparavant.

Une foule de curieux, attirés par la nouveauté et la promesse d'un spectacle hors du commun, rappliquait depuis les quatre coins de la ville pour tenter d'apercevoir l'étonnante machine du prince.

Antoine tendit une main distraite pour aider Mirabelle à descendre du fiacre, sans parvenir à détacher les yeux de l'immense zeppelin oblong qui assiégeait l'espace central de la prairie.

Des vendeurs de sucreries flairant les bonnes affaires profitaient de cette aubaine pour installer leurs étals et embaumer l'air d'un parfum de caramel brûlé. On trouvait pêle-mêle des robes de dames en dentelles conçues pour l'oisiveté et des vestes en laine d'ouvriers patinées par l'usure. Les familles de toute classe profitaient ainsi d'un dimanche de flânerie à assouvir leur curiosité. Le mélange contrasté de cette presse bigarrée contribuait à créer une atmosphère de fête foraine.

— Quelle est cette chose ? souffla Mirabelle, le regard écarquillé à la vue du ballon.

— Un dirigeable, lui répondit Antoine. C'est la première fois que j'en vois un.

Il laissa son regard parcourir les lignes fuselées de l'engin. Des câbles épais le maintenaient au sol. Les hélices de la poupe tournaient lentement dans la brise fraîche du printemps.

— Oh seigneur ! glapit Violeta en sortant à son tour de voiture. Je ne vois ni rail ni roue, comment va se déplacer cet engin au juste ?

— En volant.

— Par le flux Antoine, ne vous moquez pas.

— Je suis tout à fait sérieux.

Sur une estrade à proximité du dirigeable, le prince Solstörm agitait les bras et désignait l'aérostat, absorbé par un discours enflammé. La fierté transpirait de chacun de ses gestes et l'éclat qui animait ses yeux aurait pu illuminer un ciel d'orage.

— C'est une folie, marmonna lady Osborne. Ces ignobles locomotives de fer et d'acier passaient encore, mais ceci... Il faudrait être inconscient !

— Personne ne vous oblige à monter à bord, remarqua Antoine.

Violeta lui jeta un regard courroucé et pinça les lèvres. Elle haussa finalement les épaules et s'élança d'un pas altier sur la pelouse.

— Allons, le progrès exige parfois un soupçon de folie et d'esprit d'aventure. Il ne sera pas dit que j'en manque !

Antoine haussa un sourcil et grinça à voix basse :

— Vous ne manquez certainement pas du premier...

Avec un sourire sarcastique, Mirabelle lui assena une légère tape sur le bras.

— Vous allez perdre ses faveurs si elle vous entend.

— Et me retrouver privé de judicieux conseils matrimoniaux ? Ce serait bien fâcheux.

— Vous n'êtes pas le plus à plaindre, statua Mirabelle avec un sourire narquois. Elle vous laisse en paix la plupart du temps.

Antoine poussa un grognement indistinct et lui offrit son bras de mauvaise grâce. Elle l'accepta avant d'étudier le lourd zeppelin en plissant les yeux. À mesure qu'ils avançaient sur la pelouse, il la sentit se raidir contre lui.

— Ce genre d'appareil est-il fiable selon vous ?

— Il n'y a pour l'instant pas eu d'accidents.

Les épaules de la magicienne se relâchèrent quelque peu, mais il enchaîna aussi sec :

— Ce qui signifie que nous n'avons aucun recul sur leurs défauts. Je n'ai encore jamais entendu parler d'un zeppelin aussi monumental. Je présume que le prince a tout mis en œuvre pour effectuer les tests nécessaires...

Les Accords ÉlectriquesWhere stories live. Discover now