19 - ANTOINE

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Il consulta une dernière fois les aiguilles de la pendule vissée à la fausse cheminée.

Huit heures.

Le col amidonné de sa chemise grattait son cou et sa cravate semblait chercher à l'étrangler. Il vérifia à nouveau les plis de son frac. Le tissu s'était froissé dans sa malle.

Tant pis.

« Par tous les saints, mais que fait-elle ? »

Déjà près de vingt minutes qu'ils auraient dû se présenter au grand escalier pour le dîner. Non pas qu'il ait hâte. Ou plutôt si : hâte d'en finir. Il avait tourné dans tous les sens les possibilités qui s'offraient à lui et il ne voyait qu'une seule solution. Il s'immobilisa devant le grand miroir placé au-dessus de l'horloge.

Il céderait au chantage du recteur. Il irait fouiner dans les secrets du prince, dès ce soir.

Ses pensées se tournaient vers Charles, Zélie.... et Louise. Surtout Louise. La menace qui pesait sur elle le hantait. Imaginer sa nièce arrachée à sa famille, effrayée, enfermée dans un couvent...

Il secoua la tête. Elle était si petite, si vive si lumineuse. Les sœurs auraient tôt fait de la souffler comme on éteint une flamme vacillante. Les mots du recteur tourbillonnaient comme des papillons de nuit dans sa mémoire et se superposaient aux cicatrices qu'il avait aperçues aux poignets de Mirabelle.

Vous aviez déjà commis un meurtre après tout

Un accident, avait-elle prétendu.

Ses lèvres se tordirent en une grimace cynique et un malaise diffus pris possession de son ventre. Il avait cru la connaître et pouvoir appréhender ce monde de complots et de magie dans lequel elle naviguait, mais elle restait encore et toujours une énigme au passé trouble. En fin de compte, il ne savait rien d'elle. Et dire qu'il avait presque capitulé, balayé ses dernières réserves et livré ce qu'il avait de plus cher en pâture à ces magiciens. Quelle naïveté ! La nausée le saisit et il se raccrocha fébrilement au manteau de la cheminée.

Trouver l'etherium. Voilà sur quoi il devait se concentrer. Il commencerait par les entrailles du vaisseau, la salle des machines, le bureau du capitaine, la cabine du prince même. Il était prêt à retourner l'aéronef toute la nuit s'il le fallait.

On frappa trois coups secs et il se passa une main sur le visage pour se ressaisir. Lorsqu'il ouvrit la porte, son visage avait repris une expression placide. Du moins, il l'espérait.

— Vous êtes en retard... fit-il observer d'une voix agacée.

Mirabelle enfilait des gants de dentelle si fine qu'on les aurait cru tissés en toile d'araignée. Une robe de percale vert sauge brodée de minuscules perles, pas plus grosses que des têtes d'épingle enveloppaient sa taille avant de s'évaser sur les hanches. Il ne souvenait pas de lui avoir déjà vu cette toilette.

— Des ennuis avec l'autre robe ? Vous auriez dû m'appeler.

Il regretta presque immédiatement cette plaisanterie. Elle convoquait un souvenir qu'il aurait préféré chasser et créait une proximité déplacée.

La jeune femme lissa le corsage d'une main d'un air embarrassé.

— Alexeï a eu la bonté de mettre à disposition de ses invités quelques tenues de dépannage. Celle-ci était plus simple à passer.

— Trop aimable, ironisa Antoine en songeant par-devers lui qu'on n'avait pas eu ce genre de prévenance à son égard.

Il rajusta une dernière fois les faux plis de son habit et referma la porte de sa cabine. Il s'engagea ensuite dans le couloir, dépassant la jeune femme sans lui offrir son bras. Elle le rattrapa en trottinant.

Les Accords ÉlectriquesWhere stories live. Discover now