14 - MIRABELLE (2/2)

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La robe tant attendue n'arrivait pas.

Lady Osborne plongea dans un état d'agitation si profond qu'elle répandait sa fébrilité comme une maladie contagieuse. Béatrice, sa femme de chambre, avait cassé plusieurs verres, la cuisinière avait gâté une sauce au vin et même Mirabelle qui se targuait pourtant de posséder beaucoup d'empire sur elle-même finissait par être atteinte par cette nervosité générale. Son hôtesse critiquait tout ce qui lui passait sous le nez, trouvait à redire au moindre toast, au moindre faux pli et ne cessait de demander à tout bout de champs si on avait livré un paquet pour elle.

La pauvre femme de chambre faisait toujours la même réponse et peinait à retenir ses soupirs lorsqu'on l'envoyait tout de même vérifier en cuisine.

Les commis se trompent souvent d'entrée ! se justifiait Violeta avant de grimacer, car le vin, le thé, ou la soupe étaient trop aigres, trop forts ou pas assez relevés.

L'arrivée des habits d'Antoine, au lieu de la calmer ne fit qu'accroître son exaspération et lorsque même le lait se mit à tourner, Mirabelle la soupçonna d'en être la cause. Le flux bouillonnait tant à proximité de la magicienne que sa simple présence déréglait les horloges.

D'après Béatrice, tous les livreurs et commis du quartier sentaient les mauvaises ondes qu'elle dégageait, et prenaient leurs jambes à leur cou aussitôt qu'on ouvrait la porte. Pas étonnant dans ces conditions que la livraison de Madame Chapelle tarde à ce point.

Quant à Mirabelle, elle passait son temps à sursauter au moindre bruit, et à consulter les gros titres des journaux anglais, en quête de la moindre information sur la situation à Paris. Elle ignorait combien de temps ils pourraient rester chez Violeta avant que l'on ne retrouve leur trace. Elle en faisait des cauchemars, où le capitaine de Bréval débarquait dans la demeure de Lady Osborne pour les exécuter, Antoine et elle, séance tenante.

Au milieu de cette tempête agitée, elle se mit à apprécier la conversation et la compagnie de Béatrice. Sous ses dehors froids, la jeune femme possédait un esprit vif et un humour décapant. Face à la compagnie désastreuse que représentait Lady Osborne, et les absences prolongées d'Antoine qui arpentait la ville à longueur de journée, Mirabelle regrettait parfois de ne pouvoir prendre son thé à l'office.

La mauvaise humeur de Violeta atteignit son paroxysme le jour où devait se tenir la réception du prince.

Mirabelle la rejoignit à la table du petit déjeuner et l'observa avec inquiétude beurrer une tranche de pain, en tenant son couteau d'ivoire comme pour éventrer l'innocente tartine.

— Bonjour Violeta, dit Mirabelle prudemment.

Elle tira une chaise aussi distante de son hôtesse que la politesse le lui permettait.

— Bonjour ma chère, répliqua cette dernière d'un ton aussi sec qu'un toast trop cuit.

Mirabelle jeta un regard sur la table et repéra l'assiette d'Antoine, immaculée.

— Antoine n'est pas encore levé ?

Lady Osborne fit un geste évasif de la main.

— Il est encore tôt.

Mirabelle ouvrit la bouche et la referma avec contrariété. Un coup d'œil sur l'horloge de la salle à manger lui indiqua qu'il était largement passé dix heures.

— Il est encore sorti hier soir, je présume ? grommela la jeune femme en empoignant la théière de porcelaine avec brusquerie.

— Je vous ai déjà dit Mirabelle que vous ne devriez pas marmonner comme cela. J'ose espérer que vous saurez articuler ce soir chez Solstörm... Béatrice !

Les Accords ÉlectriquesWhere stories live. Discover now