14 - MIRABELLE (1/2)

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Mirabelle tournait avec concentration la cuillère de nacre dans sa tasse de thé. À ses côtés, sur la méridienne matelassée, Lady Osborne détaillait avec entrain l'après-midi d'emplettes et leur rencontre fortuite avec ce russe dont elle avait déjà oublié le nom. Sur la causeuse qui leur faisait face, Lady Hamilton, une magicienne affublée d'un nez en trompette et d'un regard perçant souriait avec une politesse ennuyée.

— Le scarabée rhinocéros possède un charme indéniable pour les néophytes, je ne dis pas le contraire, mais tout de même, je ne comprendrais jamais l'attrait des entomologistes pour ce vulgaire charançon. Si vous voulez mon opinion, ce sont surtout les qualités plastiques de ce coléoptère qui attisent la curiosité. Peut-être aussi le fait qu'il n'ait pas conquis nos îles britanniques... On recherche toujours ce qu'on ne possède pas je suppose. Vous n'êtes pas d'accord, Elizabeth ?

Comme Lady Hamilton se contentait de hocher la tête avec un léger sourire ennuyé, Violeta se tourna vers sa protégée, en quête d'une approbation plus franche :

— Qu'en dites-vous, Mirabelle ?

— Hum hum... acquiesça-t-elle en jetant un coup d'œil sur la pendule marquetée d'ivoire de la cheminée.

Lady Osborne plissa les narines, vexée, mais consentit devant le manque d'enthousiasme général à changer de sujet.

— Enfin... Je suis absolument enchantée que nous vous ayons trouvé une couturière prête à vous confectionner une robe digne de ce nom. Et dans un délai si court... Londres dispose tout de même d'artisans admirablement efficaces, n'est-ce pas ?

Admirablement patients surtout... songea Mirabelle par devers elle.

De la patience, il en fallait pour traiter avec Violeta. Elle n'avait eu de cesse de rôder dans l'atelier, exigeant toujours plus de rubans, de satin, de volants... Heureusement la couturière, d'une constance angélique et d'un goût sûr, avait su dévier les recommandations douteuses de sa cliente et calmer son engouement pour la fanfreluche.

Elles étaient toutes deux rentrées satisfaites : Mirabelle assurée de ne pas ressembler à une pâtisserie de mariage à la violette et Lady Osborne, de pouvoir exhiber sa protégée comme un trophée personnel.

— C'est tout à fait vrai, abonda Lady Hamilton. Vous avez eu beaucoup de chance ! Les ordinaires sont parfois si capricieux. La semaine dernière on m'a grossièrement refusée une commande sous un prétexte idiot. Une histoire de faisabilité ou que sais-je. J'ai parfois l'impression que ces gens oublient qu'on les paye...

— Oh Madame Chapelle n'est pas comme cela heureusement ! Je vous la recommande chaudement. J'ai hâte de voir ce qu'elle va créer avec ce sublime velours qu'elle nous a présenté. Pas vous Mirabelle ?

— Je meurs d'impatience, déclara la jeune femme d'une voix atone.

Une pointe de culpabilité pinça sa gorge lorsqu'elle entrevit l'expression fugace de mécontentement sur les traits de son hôtesse. Après tout, cette dernière venait de lui offrir une toilette neuve en plus de lui fournir son toit et sa protection. Les reproches d'Antoine résonnèrent à ses oreilles.

"C'est vous qui finirez suspecte à force de tirer cette tête d'enterrement."

Elle se força à sourire.

— Je suis certaine qu'elle sera splendide. Et je tiens à nouveau à vous remercier...

— Allons, allons ! la coupa lady Osborne, rose de contentement. Cela me fait plaisir autant qu'à vous mademoiselle. Il était impensable de vous introduire dans la bonne société avec ces affreuses tenues françaises. Je serais morte de honte.

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