31 - ANTOINE

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Copenhague empestait. Surtout le port.

Ou du moins, son secteur le moins fréquentable, songea-Antoine en plissant le nez.

Des morues éventrées et des viscères de poisson en pagaille jonchaient les quais trempés. Le sang mêlé d'eau de mer dévalait les interstices entre les pavés avant de cascader dans les flots qui léchaient la rade avec avidité. À grand renfort de cris, les mouettes se disputaient les restes.

Antoine avançait dans ce charnier en retenant sa respiration. À l'extrémité du quai, des panaches grisâtres s'échappaient de l'entrepôt de salaison. Même les émanations piquantes de l'usine devenaient agréables comparées aux relents de décomposition.

Il s'arrêta pour regarder un petit groupe de pêcheurs amarrer leur embarcation avec des hurlements qui concurrençaient ceux des oiseaux.

Lorsqu'ils déversèrent le contenu des nasses, il grimaça et se détourna, le cœur au bord des lèvres. Il déplia le journal qu'il était sorti acheter et parcourut les colonnes en fronçant sourcils. Le danois lui était toujours aussi incompréhensible, mais il avait reconnu un nom dans les gros titres.

Alexei Solstörm.

Il froissa les pages. La frustration de ne rien comprendre à ce qu'on écrivait au sujet du prince. Était-il encore vivant ? Mort noyé avec son maudit vaisseau ? Il se prit à le souhaiter ardemment.

Peut-être Violeta saurait-elle lui en dire plus. Elle s'était bien débrouillée pour négocier avec l'aubergiste armée de son allemand hésitant. Il chercha un instant d'autres noms familiers dans l'article, sans succès.

Repliant le journal, il orienta ses pas vers la gargote miteuse qui jouxtait la saurisserie. La devanture rongée par le sel et les fenêtres encrassées en faisait un assommoir à pêcheurs, mais ils n'avaient pas vraiment les moyens de s'en plaindre. Au moins, ce n'était pas un hôtel de passe et les literies semblaient à peu près saines.

L'atmosphère enfumée de la salle attaqua ses yeux. Les effluves de hareng saure imprégnaient tout l'établissement, le bois des tables, les draps... et même la bière médiocre que l'on y servait. Après quasiment cinq jours passés dans cet endroit, Antoine avait la sensation que cette même odeur lui collait la peau, qu'elle s'incrustait sous ses ongles, sur ses cheveux, et s'agrippait au moindre vêtement.

La salle demeurait presque vide en ce début d'après-midi. Le patron, probablement un ancien marin d'après les cals de ses paumes, n'était nulle part en vue. Un vieillard cuvait dans un coin tandis qu'un autre homme contemplait sa pinte de bière avec intensité, comme s'il attendait que cette dernière lui parle.

Antoine s'empressa de grimper les marches qui menaient à l'étage. Des éclats de voix provenaient de la chambre de Mirabelle. Lady Osborne devait être rentrée, devina-t-il.

Il poussa la porte et se figea en avisant la silhouette installée au chevet de Mirabelle. Une silhouette qui n'était pas Violeta.

S'il n'y avait eu les vêtements, on aurait presque pu les confondre. Peut-être y avait-il plus de fils d'argent dans ses cheveux, et encore... Il ne pouvait en être certain.

— Emily, souffla-t-il.

Elle arborait toujours cette prestance nonchalante que lui conférait la redingote couleur corbeau et le pantalon d'homme. Lorsqu'elle tourna la tête vers lui, des ridules se formèrent au coin de ses paupières et un sourire fatigué, mais sincère éclaira son visage.

— Ah, vous voilà Antoine, nous parlions justement de vous, déclara-t-elle en ajustant son monocle.

— Qu'est-ce que... déglutit le jeune homme, le regard oscillant vers Mirabelle. Comment nous avez-vous retrouvé ?

Les Accords ÉlectriquesWhere stories live. Discover now