27 - ANTOINE

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Le regard brillant, Auguste sortit un trousseau de clés d'ivoires avec lequel il se mit à jouer.

— Tu connais les idées perverses de ces suprémagistes... J'ai fait ce qu'il fallait.

— Donnez-moi ça ! exigea Antoine en tendant la main.

Auguste cilla et écarta le trousseau hors de portée. Les doigts du jeune homme se refermèrent sur le vide.

— Que sont devenues tes convictions, mon garçon ? Toi qui écrivais des pamphlets enflammés sur ces créatures perfides...

Derrière la porte, les cris se muèrent en hurlements. Un lourd craquement résonna dans la charpente. Le plancher vibra sous leurs pieds et Antoine sentit la panique affluer en même temps que le sang désertait son visage.

— Je n'ai jamais souhaité cela. Auguste, laissez-moi ouvrir cette porte et nous pourrons en discuter...

— Discuter avec des démons ? Mais regarde-toi mon pauvre garçon ! Il aura suffi qu'une de leurs sorcières te susurre ses mensonges à l'oreille pour te retourner la tête ! Quelle promesse absurde a-t-elle faite en échange de ta complaisance ?

— Aucune, répliqua Antoine. Elle m'a ouvert les yeux.

— Bien sûr ! ricana Auguste. Et ses cuisses aussi pour ne rien gâcher !

Le rouge monta aux joues d'Antoine.

Profitant de son trouble, Becquerel fit volte-face et se précipita en direction du pont. Les clés cliquetèrent dans sa main.

Avec un train de retard, Antoine s'élança à sa suite. Juste au moment où le savant débouchait sur la promenade, il bondit et agrippa sa veste. Les coutures craquèrent et les deux hommes roulèrent au sol. Les côtes d'Antoine protestèrent en percutant le pont.

Il parvint à se redresser et à écraser Auguste sous son poids. À târtons, il chercha les clés qu'il parvint presque à lui arracher quand une poigne le tira en arrière. Il rua avec un cri de frustration. Quelqu'un le plaqua, joue contre le bois ciré du pont.

— Calme-toi ! gronda une voix au-dessus de lui.

En se tortillant, il parvint à jeter un regard à la ronde et prit conscience des regards ahuris qui le fixaient. Une poignée de domestiques l'encerclaient. Plus loin, près du bastingage, des aérostiers hurlaient des ordres pour détacher les lourds canots de sauvetage répartis le long du zeppelin.

Les ordinaires fuyaient le vaisseau.

— C'est un des leurs ! gronda un valet en désignant Antoine.

— Tu es sûr ?

— Je l'ai servi hier au dîner, évidemment que je suis sûr !

Celui qui maintenait Antoine au sol se tourna vers Auguste.

— Becquerel ! Qu'est-ce que ça signifie ? Je croyais que seuls les ordinaires devaient quitter le vaisseau.

— Antoine n'est pas plus magicien que vous et moi. Il vient avec nous.

— Non ! grogna l'ingénieur en essayant de se dégager.

L'homme au-dessus de lui, probablement un des membres de l'équipage au regard de sa carrure, lui enfonça son genou dans le dos. Il se débattit, mais l'homme appuya plus fort encore sur ses vertèbres. La douleur lui transperçait les reins, remontant dans chacun de ses nerfs.

— Qu'est-ce que vous regardez vous autres ? lança son assaillant d'une voix bourru en direction des spectateurs. Aux canots, bon sang ! Ne restez pas planté à compter les nuages !

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