16 - MIRABELLE (2/2)

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On n'y voyait pas plus loin qu'à trois pas dans le lacis des ruelles du port, plongées dans une noirceur que les rares lanternes enduites de crasse ne parvenaient à percer. Leur lueur glauque étirait des silhouettes menaçantes sur les pavés humides, et transformait le moindre chat errant en créature cauchemardesque. Mirabelle songea qu'il n'était pas étonnant que ces quartiers mal famés fassent régulièrement la une des journaux : leur atmosphère sordide se révélait à la hauteur de leur réputation et il aurait fallu être inconscient pour s'aventurer dans cette zone à la nuit tombée.

Ou désespéré.

Seule la présence rassurante du flux autour d'elle parvenait à calmer son anxiété... celle d'Antoine également, même si elle ne l'aurait avoué pour rien au monde. Le jeune homme progressait à ses côtés, aussi silencieux qu'un fantôme, et la pénombre accrochaient son visage et ses boucles blondes comme pour mieux lui dissimuler ses traits.

Au détour d'une venelle, un homme tituba dans leur direction. Mirabelle retint Antoine par le bras, et se dissimula contre le porche d'un entrepôt les muscles tendus à l'extrême. Le flux éleva son chuchotis familier contre son oreille, prêt à répondre à son appel.

L'homme entonna alors d'une voix nasillarde :

— Where is me bed, me noggin' noggin bed !

Il s'appuya contre un mur et se laissa lentement glisser au sol avant de poursuivre :

— All gone for beer and tobaccooooo !

Un ivrogne.

Antoine ricana doucement.

— Je pense que nous n'avons rien à craindre. Avançons.

— Il risque de nous voir...

L'ingénieur s'écarta de leur cachette.

— Faites-moi confiance, ce bougre est tellement imbibé qu'il ne remarquerait pas votre présence quand bien même vous lui marcheriez sur le visage.

Comme pour confirmer ses dires, le marin s'égosilla :

Well the sheets they are all tore, cause I lent them to a whore! And the springs are looking out for betteeeer... weeeeather !

— Je suppose que vous parlez d'expérience, grinça Mirabelle.

Le jeune homme haussa les épaules sans relever, mais sa démarche se fit malgré tout plus raide et son pas sec sur les pavés glissants.

Ils dépassèrent le marin qui se lança dans une nouvelle ode aux nombreux charmes de sa ville natale. Sa voix de ténor les accompagna sur le chemin, longtemps après avoir dépassé l'angle de la rue.

...And Molly O'Connell, she never got a wink,

For half a shilling, she'd offer thighs and drinks,

But on the day she died, each man in port did weep,

As Molly O'Connell at last did fall asleep !

— Le laboratoire que nous cherchons n'est plus très loin, lança Antoine en toussotant comme pour mieux couvrir les paroles.

Ils débouchèrent dans une venelle étroite jonchée d'ordures où une bâtisse de briques gouvernait les autres entrepôts de toute sa hauteur. Antoine baissa les yeux sur l'adresse inscrite sur le papier et fronça les sourcils.

Un petit atelier, c'est bien cela ? ironisa Mirabelle.

Sans relever, il l'entraîner brutalement dans le renfoncement d'un bâtiment voisin.

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