33 - ANTOINE

55 12 34
                                    

Le soleil s'était avachi à l'Ouest depuis peu lorsqu'ils quittèrent l'auberge, sans un manteau sur le dos. La nuit rampait sur les ruelles mornes du port, et son obscurité s'infiltrait comme une eau fangeuse le long des bâtisses usées. Quelques pêcheurs encore occupés à démêler leurs filets malgré la lumière déclinante les observèrent passer non sans méfiance.

Emily avait eu raison de les prévenir : laisser leur adresse au bureau télégraphique de la ville s'avérait peu prudent. L'intrusion de Pierre de Villiers en était la preuve et si le secrétaire du recteur était parvenu à les retrouver, alors n'importe qui en était capable.

Un fiacre patientait à côté de l'usine de hareng. Le cocher descendit lorsqu'ils se présentèrent.

Il tendit une main vers le paquetage d'Antoine.

L'ingénieur se déroba avec un rictus crispé.

— Je garde ceci.

Violeta s'avança pour traduire. L'homme se gratta la tête avant de bougonner.

— Il dit que ça va vous encombrer pendant le trajet.

— C'est mon problème.

Le cocher mâchonna sa chique en les toisant tour à tour avant de hausser les épaules.

Il jeta un regard nerveux sur Emily qui patientait à quelques pas et scrutait les quais à travers son monocle. Il grommela quelque chose entre ses dents en examinant sa tenue d'homme avant de se détourner pour s'occuper de son attelage.

— Tout ceci est hautement inconvenant, maugréa Lady Osborne.

— Les convenances sont actuellement le cadet de nos soucis Violeta, rétorqua sa sœur. Mirabelle et Antoine ont déjà traversé la moitié de l'Europe sans que vous y trouviez à redire.

— Je n'avais rien à y redire tant que je les pensais frère et sœur ! Les choses sont très différentes à présent.

Emily leva les yeux au ciel sans rien cacher de son exaspération.

— Ne vous déplacez pas en plein jour avant d'avoir quitté le Danemark par le dernier ferry, recommanda-t-elle. Une fois à Rostock, privilégiez les trains lorsque c'est possible. Ne vous attardez pas plus de deux nuits au même endroit...

— Nous en avons déjà discuté, souffla Mirabelle d'une voix apaisante. Tout va bien se passer.

— Et tâchez de ne jamais vous retrouver seuls dans une pièce, insista Violeta, les narines froncées. Pas sans chaperon du moins.

Antoine se mordit les joues pour ne pas ricaner.

— Il vont voyager deux semaines en train et en chaise de poste, soupira Emily en se pinçant l'arête du nez. Comment voulez-vous que...

— Nous nous y efforcerons, répliqua-t-il pour mettre un terme à ces nouvelles chamailleries. Je sais que Mirabelle y tient beaucoup, et mon visage aussi.

Le sous-entendu lui valut un coup d'œil assassin de la jeune femme.

Il repensa à Pierre de Villiers, toujours ligoté et enfermé dans sa chambre.

— Qu'allez-vous faire de notre... invité surprise ?

— Je vais me faire une joie de le ramener à l'académie, répondit Emily avec un sourire mauvais. Je le laisserais aux bons soins de la garde impériale. Le nouveau haut mage sera, je l'espère, plus enclin à m'écouter.

Son regard se perdit un instant dans la noirceur du quai, comme pour vérifier que personne n'attendait, tapi dans les ténèbres et Mirabelle suivit son mouvement, le corps tendu. Antoine ne pouvait l'en blâmer. L'agression du secrétaire l'avait profondément ébranlée. Même Emily et Violeta étaient tombées d'accord, ce qui relevait de l'exploit : ils devaient tous deux quitter la ville. Et sans délai.

Les Accords ÉlectriquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant