10 - ANTOINE (1/2)(✔️)

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Une main le secoua par l'épaule. Il ouvrit les yeux dans un sursaut.

— Nous sommes arrivés, déclara sobrement Mirabelle.

Il poussa un long bâillement et tourna la tête vers la fenêtre. Des maisons de brique étroites se serraient le long de la voie tandis que le train perdait de l'allure en poussant des grincements lancinants à en réveiller les morts.

— J'ai dormi tout le trajet ?

— Je n'ai pas jugé utile de vous réveiller lors de l'arrêt à Rouen. Il n'y a pas eu de contrôles.

La locomotive poussa un dernier sifflement avant de s'immobiliser et ils quittèrent le compartiment sous les regards réprobateurs des autres voyageurs.

Lorsqu'Antoine vit l'un de leurs voisins de banquette se diriger à grands pas vers un contrôleur, il entraîna Mirabelle pour mieux se fondre dans la foule.

— Ne forçons pas notre chance, souffla-t-il.

Les touristes s'agglutinaient pour passer les modestes arcades de la gare. Les deux fugitifs jouèrent des coudes pour se tailler un passage entre les lourds bagages et les crinolines encombrantes.

À l'extérieur, il tombait une fine bruine et des nuages aussi gras que gris se compressaient dans le ciel, tels des linges gorgés d'eau, prêts pour l'essorage.

Les voyageurs, pressés d'esquiver l'averse, se déversaient sur le parvis pour monter dans les calèches aux abords de la station. Les plus modestes prenaient d'assaut les trottoirs luisants pour rejoindre le centre-ville.

Devant eux s'étalait un long bassin dans lequel des navires aux voiles repliées barbotaient d'un air assoupi. Il flottait dans l'air un parfum d'iode où se mêlait l'odeur de la pluie sur la chaussée et celle des entrailles de poissons que vomissaient les chalutiers à quai.

Mirabelle fronça les narines et s'approcha d'un cocher.

— La rue Pecquet, je vous prie ? demanda-t-elle avec hauteur.

Le cocher la toisa de haut en bas, de l'ourlet arraché de son jupon jusqu'aux bandages maladroits autour de ses mains.

— Face à l'église Saint-Jacques. Transept nord.

— Pouvez-vous nous...

— Désolé, j'ai des clients, jeta l'homme avant de se détourner vers un couple de bourgeois à l'allure moins dépenaillée.

La jeune femme frémit.

— Laissez, pressa Antoine.

Il désigna du menton le clocher noir qui pointait par-dessus les toitures de la cité, au milieu des grappes de cheminées fumantes.

— Les églises ne sont pas difficiles à dénicher.

La pluie s'intensifiait et chassait peu à peu les passants. Les briques des façades prenaient des teintes morbides et les fenêtres les toisaient avec autant de mépris que les passagers du train.

Ils finirent par déboucher presque par hasard sur la rue Pecquet.

Mirabelle s'arrêta devant le perron d'une maison élevée sur quatre étages, plutôt commune et sans aucun charme. Une plaque de bois apposée sur les briques indiquait le numéro douze.

— C'est ici.

Antoine examina le bâtiment de piètre allure avec curiosité.

— Moi qui pensais que les mages vivaient dans l'opulence...

— Les académies sont riches. Pas les magiciens.

— Académie, magiciens... c'est blanc bonnet et bonnet blanc. De quelle institution dépend celui-ci ?

Les Accords ÉlectriquesWhere stories live. Discover now