Chapitre 1 - Mon mari, mon destructeur

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Paris — 2012

Des pas lourds et rythmés résonnent entre les murs bétonnés de notre salle de sport personnelle. C'est Betty, ma coach, qui me donne la cadence à tenir. J'enchaîne les exercices sur le rameur : deux minutes avec un bras, cinq avec les jambes seules. J'ai hâte que la séance prenne fin. Betty me pousse toujours plus loin : pompes, développés couchés, levées de poids. Elle assène ses directives et j'obtempère. Elle est recrutée par mon mari pour remodeler mon corps. Depuis deux ans, à raison de trois entraînements par semaine. Je regrette encore le jour où j'ai accepté de me mettre au sport pour lui faire plaisir.

— C'est tout pour aujourd'hui, dormez, vous avez une tête à faire peur et vous manquez sérieusement d'endurance.

Je m'éclipse sans préavis, elle connaît la sortie. Je remonte l'escalier sombre et me rends dans la salle de bain attenante à notre chambre. Je prends une douche rapide, j'aime cette sensation d'apaisement, bien que trop brève en comparaison à l'effort fourni.

Je passe devant le miroir et m'observe avec difficultés. Des cernes violacés se dessinent sous mes grands yeux verts et mangent mon visage déjà émacié. Le sommeil a déserté ma vie il y a bien longtemps. Mes cheveux blonds ont perdu leur éclat et cachent avec peine mes épaules décharnées. Mon corps tonique est fin, terriblement fin. J'effleure le contour de mes cicatrices, puis j'examine attentivement mon ventre, rien ne transparaît, tant mieux. Je prends quelques minutes pour dissimuler les marques de fatigue.

Une tenue m'attend au pied du lit : jupe noire et chemisier en soie ivoire. Si tel est son souhait, j'ai arrêté de me battre pour des détails aussi futiles. Les chaussures à talons, assorties, claquent sur le sol en damier. Un capteur se déclenche à mon passage, calculant le pourcentage de clarté de la pièce. Une lumière vive jaillit du grand lustre industriel de la salle à manger et son reflet sur les murs blancs m'éblouit. Il est bientôt dix-neuf heures, la nuit est déjà tombée sur la capitale. Je m'assieds sur une chaise en métal noir et je relis le menu laissé par notre cuisinière : endives braisées, purée de brocolis, et son filet de bar, soupe d'agrumes, service à vingt heures trente. Je grimace, toujours au régime. Comme chaque vendredi, nous décalons notre repas afin de pouvoir assister à la dérangeante passion de mon mari.

— Cassandra, où es-tu bon sang ? Tu as vu l'heure ? Viens dans le salon, tu vas me faire rater le début !

À son ton rageur, je me lève et pars m'installer sur le canapé en cuir de buffle. Je sens le froid s'infiltrer sous le tissu de mon chemisier. Ma main posée sur sa cuisse virile, comme il aime. Thomas a ce regard dur, d'un noir profond. Son imposante carrure, résultat d'un entraînement quasi militaire, le rend inaccessible.

Je partage son quotidien depuis trois ans. Pendant longtemps, il a soufflé le chaud, il m'a fait vivre un conte de fées. J'ai été choyée, j'avais tout. Aujourd'hui, je sais. Son corps incroyable cache une âme terriblement sombre.

— Arrête de me fixer, concentre-toi sur l'écran.

Je sursaute à son ton dur, je ne m'y habitue pas. Machinalement, je porte ma main à mon ventre et la retire aussitôt, avant qu'il ne le remarque. Il ne doit pas savoir, sinon il nous tuera. Il veut être le seul, le centre de mon univers, il n'y a pas de place pour un autre que lui.

Il actionne la télécommande, l'écran géant coulisse du meuble en marbre et projette son émission préférée : Homicides. Elle relate les crimes les plus violents de ces dix dernières années. De nature très sensible, je hais ce voyeurisme. La semaine précédente, un mari jaloux avait brûlé sa femme. Ce soir, c'est un homme qui a battu et étranglé son amie dans un délire de persécution. Tous les détails sont exposés sans pudeur, deux acteurs reproduisent la scène, j'ai envie de vomir. Je n'ai pas le choix, je ne peux pas partir.

Tu m'appartiens (CONCOURS FYCTIA)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant