Chapitre 15 - Toujours, tu m'appartiendras

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À vingt et une heures, je trépigne d'impatience. Art arrive avec Walou, un sachet de popcorn dans une main et un film dans l'autre : Intouchable, j'adore ce film.

— Julie n'est pas avec toi ?

Il a un sourire gêné :

— Elle est franche comme fille donc elle n'a pas de fausses excuses, elle m'a juste dit : va régler tes problèmes une fois pour toutes avec Marie.

Je ne sais pas si je dois la remercier ou la tuer demain.

Il s'assoit sur le canapé, je mets le DVD et m'installe à une distance raisonnable de lui. Walou me réchauffe les pieds et je ne peux m'empêcher de leur murmurer :

— Vous m'avez manqué tous les deux.

Art se rapproche timidement de moi et je pose ma tête au creux de son cou. Je m'enivre de son parfum et c'est comme si je me sentais à ma place. Il passe son bras derrière mes épaules et me susurre :

— Toi aussi, tu nous as manqué.

Le film commence et je cale ma tête sur ses cuisses, naturellement. Il me caresse les cheveux et je m'endors très vite, soulagée.

La lumière du jour me réveille. C'est la première fois que je fais une nuit complète, sans cauchemar, depuis des mois. Art dort dans mon dos, une main sur mon ventre. Je réalise que je fais n'importe quoi, et ça me rend si heureuse. Je me retourne et sens son souffle régulier. J'aimerais me blottir dans ses bras protecteurs, que le temps s'arrête là et que plus rien ne change. Je lui vole un baiser, léger comme une plume. Un rictus apparaît sur ses lèvres, il remue un peu, mais ne semble pas s'éveiller. La sonnerie de mon téléphone me fait sursauter, comme prise en faute.

Il est déjà huit heures, je me lève sans faire de bruit, enfile mon manteau pour sortir Walou qui s'impatiente et fais un brin de toilette avant de rejoindre Julie qui m'attend en cuisine.

Mon bonheur ne trompe pas mon amie qui aimerait bien me faire passer un interrogatoire. Je préfère ne pas rentrer dans son jeu :

— Lâcheuse ! Si tu voulais savoir quelque chose, il fallait venir !

C'est puéril, mais mérité.

— J'ai eu raison de vous laisser tous les deux à la mine réjouie que tu as. Aujourd'hui, c'est ta dernière journée, on va se débrouiller avec Art. Il faut que tu te reposes pour l'accouchement et surtout pour les nuits blanches qui t'attendent.

— Je me sens pourtant en pleine forme et puis...

Elle me coupe, elle n'en démordra pas.

— Décision prise, trêve de bavardage ! Je sais que tu ne veux aucun contact avec la clientèle, mais il y a une personne en salle qui voudrait te féliciter pour ton excellent kouign-amann d'hier. Il dit qu'il aimerait te commander des gâteaux pour sa boutique de produits régionaux sur Paris. Ce serait une énorme opportunité pour toi. Bien sûr, je l'ai prévenu que ce ne serait pas avant cet été. Il est quand même intéressé.

Je cille à l'évocation de Paris. Pourtant, je décide de ne pas me laisser guider par la peur et de combattre mes démons.

Je porte le plateau du petit déjeuner en salle et le laisse s'échouer au sol dans un fracas assourdissant quand je le reconnais, lui, il m'a retrouvé, après cinq mois d'espoir. Ma vie vole en éclat comme cette théière brisée au sol. Je voudrais crier, courir, fuir. À la place, je me tétanise et plus aucun son ne sort.

Il s'empresse de se lever en faisant mine de m'aider et me chuchote :

— Si tu tiens à tes amis, tu fais ce que je te dis et tu ne discutes pas.

Julie, alertée par le bruit, me demande si ça va et c'est Thomas qui répond :

— Oui oui, elle a juste eu un étourdissement, nous allons prendre un peu l'air pour discuter, cela lui fera du bien.

Alors que l'on se dirige dehors, je croise Art qui sort de chez moi. Il fixe la main de Thomas dans la mienne. Il essaye de sonder mon regard. Je préfère détourner la tête pour le protéger.

Thomas prend la parole, d'une voix mielleuse :

— Mon ange, tu me présentes ?

Je me reprends et réponds d'un air le plus neutre possible pour ne pas éveiller les soupçons :

— C'est Artémis, mon employeur.

Thomas lui tend la main, mais Art ne bouge pas, attendant une explication de ma part. Je suis incapable de la lui donner. Alors, c'est mon mari qui s'en charge, agacé et suspicieux :

— Veuillez l'excuser, Cassie est très émotive, elle ne s'attendait pas à ce que je rentre de mission si tôt.

Il m'enlace possessivement à m'en faire mal et dépose un baiser sonore sur ma joue qui me répugne, puis reprend :

— Je lui ai fait une surprise. Je suis son mari, Thomas.

Il me regarde et il m'implore silencieusement de nier. Je ne peux pas. Lorsque j'acquiesce d'un signe de tête, je revois cet air triste et déçu que j'ai trop souvent provoqué chez lui. Je viens de gâcher la moindre chance entre nous. Je l'ai fait pour le sauver. Je sais de quoi est capable Thomas.

Walou se met à grogner, prêt à me défendre, il sait. Art lui intime l'ordre d'arrêter, mais il ne lui obéit pas. Il le saisit par le collier et le traîne dans le manoir, nous laissant seuls.

— Emmène-moi dans ton logement, je crois que tu me dois quelques explications avant que je ne te ramène à Paris.

Mes rêves se brisent à l'image de mes phalanges qu'il broie entre sa main puissante et froide. Ma douleur physique n'est rien par rapport à celle que je ressens à l'intérieur.

Le regard de Thomas scanne chaque détail de l'intérieur de mon refuge. Il ouvre la porte de la salle de bain, il revient et se fige devant le berceau.

— C'est pour ça que tu es partie ? Parce que tu voulais cacher ton bâtard ? Tu n'as pas pu t'empêcher de faire ta traînée ?

Il ne me laisse pas le temps de répondre qu'il balance le berceau sur la baie vitrée. Elle vole en mille éclats. Il est dans une rage folle. J'ai peur pour la vie de mon bébé. Le vent s'engouffre dans le penty et lorsqu'il s'approche de moi, je prends la fuite. Tout s'enchaîne très vite, je descends les marches qui mènent à la crique et il me rattrape, me pousse violemment. Je trébuche, tombe au sol, sur la plage. Une fois à terre, il s'acharne et me roue le ventre de coups. Je sens un liquide poisseux entre mes cuisses, puis plus rien, juste le silence et le noir qui m'engloutit.

Tu m'appartiens (CONCOURS FYCTIA)Donde viven las historias. Descúbrelo ahora