Chapitre 4 - Trahison

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À Concarneau, le 5 août 2012

Objet : Règlement de la succession de Madame Lamart Marie

Madame,

Je viens, par la présente, porter à votre connaissance le fait, qu'à la date de ce courrier, le règlement de la succession de madame Lamart, dont je suis l'exécuteur testamentaire, n'est toujours pas soldé, soit plus de trois mois après son décès.

Mes multiples interventions par téléphone, mais aussi mes différents courriers, n'ayant eu aucun effet, je m'en remets à vous et sollicite votre intervention pour régler cette succession au plus vite.

Veuillez agréer, Madame, Monsieur, l'expression de mes sentiments respectueux.

Maître Benoît

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Je fixe, incrédule, ce courrier formel, écrit il y a plusieurs mois.

— Pourquoi m'as-tu menti depuis des mois, quand je m'inquiétais pour elle, quand je culpabilisais de ne pas la voir, pourquoi ne m'avoir rien dit ?

Je crie de rage, je lui crache toute ma rancœur, il n'est plus rien à mes yeux, il a gâché tellement de choses.

Il me répond d'un ton détaché :

— Je ne t'ai pas menti. Tu pourras aller la voir et ma mère t'accompagnera. Tu lui diras au revoir et tourneras la page.

— Ne joue pas avec les mots ! Tu savais qu'elle était morte, c'est MA grand-mère, elle m'a élevée comme une mère, elle était toute ma vie ! J'aurais mieux fait de l'écouter, elle avait raison sur toute la ligne. Je l'ai abandonnée et je ne me le pardonnerai jamais.

Il ignore ma remarque et continue sur le même ton indifférent :

— Dans quelques jours, c'est la Toussaint, ma mère a accepté de venir honorer tes morts plutôt que les siens, tu penses être seule alors que tu as une famille désormais. J'ai réservé l'avion et une nuit là-bas par faute de vol retour disponible. Ouvre les yeux, tu m'envoies des piques assassines alors que j'ai juste voulu te protéger. Je savais que tu serais rongée par la culpabilité et c'est bien normal, quand on tourne le dos à celle que l'on considère comme une mère. C'était ta propre décision et il va falloir vivre avec. Mère et moi en avons longuement discuté et nous pensions plus opportun que tu ne le saches pas. Nous souhaitions t'épargner. Nous ne savons plus comment agir avec toi, même avec la meilleure intention du monde, tu trouves quelque chose à redire !

Je me ferme à ses tentatives de manipulation et continue à lui hurler ma rage :

— C'est toi qui m'as convaincue de m'éloigner d'elle, c'est toi qui m'as dit qu'elle ne pensait pas à mon bonheur, tu m'as manipulée pour que je me retrouve seule et c'est fini, je ne te laisserai plus faire, je n'en peux plus. Je souffre à en crever ! Tu fais de moi ta prisonnière ! Mais je ne suis pas un objet ! Tu me fais tellement de mal, laisse-moi partir, rends-moi ma liberté !

Je sens à son regard assassin que j'ai été trop loin, qu'il va sortir de ses gonds.

— Te souviens-tu de tes vœux : unis jusqu'à ce que la mort nous sépare ? Retiens bien ça, car JAMAIS je ne te laisserai me quitter, TU M'APPARTIENS ! Nous ne renoncerons pas à la moindre difficulté, nous nous battrons pour notre mariage, tu es MA femme et tu le resteras, que ça te plaise ou non ! Mes réactions sont à la hauteur de ton mépris. C'est de la légitime défense. Je rends coup pour coup. Les tiens ne laissent peut-être pas de marque sur mon corps, mais me bouffent de l'intérieur. TU me brises chaque jour un peu plus, tu es devenue froide, distante. J'ai besoin que tu m'aimes et que tu me le montres. Je t'aime et je ferai n'importe quoi pour te protéger, pour TOI, alors deviens une bonne épouse. Arrête de te battre contre moi et je te prouverais que ça en vaut la peine. C'est toi qui me rends comme ça. Pense à nos débuts, tout se passait bien, car tu me respectais, pose-toi les bonnes questions. Nous resterons ensemble et il ne tient qu'à toi de faire en sorte que ça soit pour le meilleur, car même dans le pire nous serons liés.

J'aimerais tellement y croire, mais je ne veux plus de la vie qu'il m'offre.

Je me relève et rejoins la salle de bain, je verrouille la porte et m'y adosse, les larmes ruisselantes de cette nouvelle épreuve. Je ferme les yeux et j'essaie de faire le vide pour ne pas me laisser engloutir par la folie. Je voudrais le tuer. On dit que de l'amour à la haine, il n'y a qu'un pas. Je le hais tellement de m'avoir dépossédée de ma vie, de mon libre arbitre, de mon travail, de mes amis, de ma mamie. Je ne pourrai jamais reprendre la vie que j'avais avant, mais je ferai tout pour offrir un meilleur avenir à mon enfant.

Je sais qu'il déteste que je m'enferme, alors, après un long moment sous la douche, je sors et je m'allonge en sachant que, cette nuit encore, je ne trouverai pas le sommeil.

Le lendemain matin, à peine descendue à la table du petit déjeuner, une question me brûle les lèvres :

— Est-ce que je pourrais passer récupérer mes affaires chez ma grand-mère et voir le notaire ?

— J'ai envoyé mon avocat régler la succession en août, sachant que tu es très attachée à ta Bretagne, j'ai demandé à ce que tout soit légué à la région. Ce n'est pas bon de vivre dans les souvenirs et puis nous n'avons pas besoin d'argent.

— Tu ne peux pas faire ça ! Mon ton claque, mais il n'en a cure.

Quand est-ce que ce cauchemar va s'arrêter ? J'avais enfin une chance d'accéder à une liberté financière. Ma grand-mère n'était pas riche, mais elle a été économe et son épicerie a toujours bien marché.

— Mon avocat t'a représenté. Tu n'as pas à te soucier de tout ce côté administratif, surtout que tu n'es pas très douée avec les papiers. Remercie-moi plutôt !

Que je le remercie pourquoi ? De prendre des décisions pour moi, comme si j'avais cinq ans ? De ne pas chercher à récupérer mes souvenirs, nos photos ? D'avoir laissé des inconnus vider sa ou plutôt notre maison ? Les souvenirs de mes parents, de mon grand-père, de ma famille partie trop tôt.

J'essaie de me contenir. J'aimerais pouvoir rester seule :

— Est-ce que je peux passer cette journée à la maison ? J'ai besoin de temps pour moi.

— Cassie, ta grand-mère avait 85 ans, c'est une mort naturelle à son âge, arrête de t'accrocher au passé. Quand on est vieux, il est normal de mourir ! Tu es bien trop sentimentale, j'aimerais que tu le sois autant avec moi.

J'ai appris avec le temps que répondre à ses provocations était inutile. Je préfère ne pas rentrer dans son jeu et réitérer ma question :

— Me laisses-tu ma journée ?

— Je demanderai à mère d'annuler les réservations. Je l'ai prévenue de ton humeur et elle souhaitait t'emmener au sauna pour te détendre, elle va être déçue.

Je suis soulagée, je vais pouvoir préparer mon départ ou plutôt ma fuite.


Tu m'appartiens (CONCOURS FYCTIA)Tempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang