Chapitre 6 - Métamorphose

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Thalia s'est enfermée sans plus d'explications dans ce qui semble être sa chambre. Je sais qu'elle est au téléphone, mais je n'arrive pas à distinguer la moindre parole. Je me dois de lui faire confiance, elle qui me donne tout alors que je lui ai tourné le dos. Elle que j'ai dû tant meurtrir par mes actes, mais qui est là à essayer de me sauver. Six mois que le mot confiance ne fait plus partie de mon vocabulaire, six mois que je vis dans la méfiance de tout ce qui m'entoure. Je la laisse gérer mon avenir avec beaucoup d'angoisse, mais aussi avec soulagement. J'ai ce sentiment profond que ma grand-mère me l'a envoyée. Comme si on m'apportait une béquille sur laquelle mon corps fracturé pouvait s'appuyer.

Elle quitte enfin la pièce puis va dans une autre et en ressort rapidement avec des boîtes de coloration et divers accessoires, dont des ciseaux. Thalia est très belle, grande, menue, mais avec des formes. Elle a pourtant toujours complexé sur ses cheveux châtains et ses yeux marron : trop quelconques. Quand on sortait le soir, elle adorait se teindre les cheveux et portait des lentilles pour changer la couleur de ses yeux. Si j'en crois la quantité de produits qu'elle pose sur la table, sa lubie de transformation est loin de l'avoir quittée.

— J'ai eu ma mère, elles arrivent tout juste à la thalasso. Elles en ont pour deux bonnes heures. Je lui ai demandé de me prévenir quand elles partiraient. Ça nous laisse du temps. Elle n'a pas pu m'en dire plus, ta belle-mère s'impatientait.

Entendre le mot « belle mère » m'horripile et je ne peux m'empêcher de la reprendre :

— Ne l'appelle pas comme ça, elle n'a rien d'une belle-maman, elle est horrible et je plains ta mère.

— A sa voix, j'ai bien senti qu'elle ne passait pas un moment agréable, mais c'est pour la bonne cause, j'espère juste que madame Richard ne pensera pas que ma mère est complice de tout ça. Je ne veux pas lui attirer d'ennuis. Allez, assez perdu de temps ! Assieds-toi, tu as deux minutes pour choisir une couleur de cheveux : elles sont toutes éphémères et ne durent que quelques shampoings. Tu devras t'en racheter une après. J'ai brun foncé ou acajou.

— Acajou sur du blond ? Je risque d'être poil de carotte... Le brun c'est très bien. Par contre, on n'est pas obligé de couper ?

Elle me fait les gros yeux comme quand on était petite et qu'elle me réprimandait d'avoir mangé ses bonbons (j'étais clairement la plus gourmande des deux), ce qui me tire un sourire. Ça fait du bien de la retrouver. Elle me fait sa moue désapprobatrice et je sais que je n'aurai pas le dernier mot.

— Ouvre l'ordinateur devant toi et tape sur Google : disparaître en France, pendant que je te teins les cheveux.

Je ne sais toujours pas ce qu'elle a derrière la tête, mais nous n'avons pas le temps pour les questions alors, pour l'instant, je dois juste lui faire confiance. Je m'exécute. J'apprends en quelques minutes qu'une disparition est légale, ça s'appelle une disparition volontaire. Même mariée, je peux partir et recommencer ailleurs. Je peux également demander une carte d'identité à mon nom de jeune fille et utiliser mon deuxième prénom. Il n'est pas difficile de se procurer des faux papiers, sur internet ou à Paris rue de Barbès, avec mille euros en poche (que je n'ai pas...), mais je risque gros : cinq ans d'emprisonnement et soixante-quinze mille euros d'amende. Thalia a raison, je ne ferai rien qui pourrait donner des droits à Thomas sur mon enfant.

J'ai le droit de disparaître, mais comment ?

On échange sur le sujet, elle reste vague. Je lui demande d'amener son ordinateur chez un informaticien après mon départ pour effacer toute trace de recherche.

— C'est l'heure de te rincer les cheveux, après je vais te les couper au carré, comme au bon vieux temps.

Avant lui, j'aimais tellement ma longue chevelure blonde qui ondulait dans mon dos. Aujourd'hui, c'est synonyme de douleur. Il aimait m'attraper par ma queue de cheval pour me punir. Il me traînait et je hurlais. Je secoue la tête pour chasser ces souvenirs et, bien que je préférerais éviter qu'ils soient coupés par ma meilleure amie alias « miss catastrophe », j'ai quand même envie de m'en débarrasser.

— Je me rappelle de tes coups de ciseaux « en dents de scie » et des heures que ma grand-mère passait à essayer de rattraper tout ça. Et elle n'y arrivait pas toujours. Elle t'a même interdit de m'approcher avec des ciseaux.

Elle rit, tellement fort ! Elle a toujours cette joie de vivre et ça me réchauffe le cœur.

— Promis, je fais attention ! Mets-moi un tuto sur You Tube si ça te rassure.

Je m'empresse de chercher : se couper les cheveux au carré pour les débutants. Étonnamment, je tombe sur une vidéo avec plus de cinq cent mille vues. Je suis rassurée quand elle prend le temps de suivre les instructions. Mes longs cheveux teintés de noir s'échouent au sol et je me sens légère.

Je lève la tête et observe l'heure sur le mur de son salon. Il nous reste maintenant moins d'une demi-heure avant que la Thalasso ne se termine. Devant mon air alarmé, Thalia m'apaise :

— Dans dix minutes, on décampe, j'ai des lentilles bleues pour toi. Je te conseille de les mettre, tes grands yeux verts sont reconnaissables entre mille. Tu enfiles la tenue que j'ai posée sur mon lit pour toi, je vais juste dire à mon voisin que ma voiture est en panne, il me prêtera la sienne. Sois prête quand je reviens. Je t'expliquerai dans la voiture. N'oublie pas que je fais tout ça pour ton bien !

Ces derniers mots me font craindre le pire. Je laisse sur la table les derniers vestiges de mon passé : mon alliance en or jaune entourée de diamants et ma bague de fiançailles, un énorme solitaire taillé en poire. J'enfile rapidement la robe pull, les collants et les baskets blanches que Thalia m'a choisis, bien loin des tailleurs et escarpins que je dois porter sur Paris. J'ai l'impression de rajeunir de dix ans.


Tu m'appartiens (CONCOURS FYCTIA)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant