Chapitre 20 - Doutes

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Les cinq jours suivants se déroulent de la même manière : rééducation, psychomotricité dans une salle dédiée et séance de psy tous les après-midi. Le docteur Granger m'écoute peu, il passe son temps à réécrire ma vie. Une sorte de vie parallèle qui me semble totalement étrangère, mais qui me questionne.

Il me confirme que je souffre de bipolarité, provocant des hallucinations. Bipolarité qui a été identifiée comme la cause du décès de ma mère. Cette dernière avait une impression de toute-puissance et a pris la mer malgré l'annonce d'une tempête. Mon père n'ayant pas réussi à l'en empêcher l'a suivie, espérant la raisonner. Ma grand-mère m'a donc gardé pour me protéger des agissements totalement inconsidérés de ma mère. Il m'apprend que la bipolarité est souvent retrouvée sur plusieurs membres d'une même famille.

Il montre du doigt mes cicatrices et m'explique que la toute première a été faite à l'âge de douze ans, car je ne supportais pas que mes parents soient morts, je culpabilisais de ne pas être partie avec eux. C'était ma manière d'extérioriser ma peine. Il me parle également du rôle de bienfaiteur, de la patience dont Thomas fait preuve avec moi.

Chaque détail de mon histoire personnelle a été réécrit. L'infirmière me fait des piqûres qui m'empêchent de réfléchir correctement et trouble ma capacité à démêler le vrai du faux.

Mon mari ne vient que quelques minutes par jour, toujours de manière très douce. D'après le docteur Granger, il est très affecté par mon état et se bat de son côté pour récupérer notre fille.

Tout est fait pour que le doute en moi s'insinue. Mon but était de le faire tomber, d'amasser des preuves et je me retrouve dans une spirale infernale, coupée de tout, avec un bourrage de crâne incessant et je ne sais quelle substance qui coule dans mes veines. Je ne me sens plus maître de mes pensées. Je ne sais PLUS quoi penser. Ils sont tous si gentils, si bienveillants, comme s'ils prenaient vraiment soin de moi. Je reprends des forces physiques, j'arrive à remarcher quelques précieuses minutes, mais mon mental est vidé de toute son énergie. Les actes violents dont je croyais être victime sont remplacés par des explications sensées. Mon mari se transforme en quelqu'un de profondément humain. Le personnel que je croise ne tarit pas d'éloges sur lui.

Ils essaient de me convaincre que je pourrais revoir Émilie si j'accepte mon état psychologique. Si j'arrête d'être dans le déni... et je veux tant voir ma fille. Je pense à elle chaque seconde, j'imagine, son visage, a-t-elle mes yeux, les cheveux bruns ou blonds ? S'occupe-t-on bien d'elle ?

Est-il possible d'avoir recréé ma propre histoire, car la réalité de ma maladie était trop dure à accepter ? Thomas n'a rien fait de répréhensible depuis ma sortie du coma. Il a été attentionné, bienveillant.

Certains actes m'interrogent encore. Une infirmière a vu le portable que je cachais tant bien que mal et me l'a pris, car cela nuit à mon rétablissement. Je ne croise jamais aucun patient, même lors de ma sortie quotidienne vers la salle de motricité. Est-ce que cet hôpital est vide ? Quand je demande le rapport du médecin légiste ou de l'expertise psychiatrique, on me répond que ce serait encore trop douloureux pour moi.

Le silence, pesant, ne fait qu'alimenter le vide que je ressens à l'intérieur.

Alors que j'attends le docteur Granger avec impatience, préférant tout à ce néant qui remplit ma vie aujourd'hui, c'est Pauline qui franchit le seuil de ma chambre.

— Tout va bien ? Je souhaitais seulement vous prévenir que le docteur Granger est absent. Il reviendra demain.

— A-t-il un problème ?

Elle semble hésiter, mais son naturel bavard reprend le dessus :

— Son fils est gravement malade, il devait subir une opération dans quinze jours, mais elle a été avancée. Le docteur est très discret sur sa vie, il serait mécontent s'il savait que je vous en ai parlé.

Je suis très attristée pour lui. Si c'était Émilie, je donnerais ma vie pour elle et pourtant je ne l'ai jamais serrée dans mes bras. Je n'ose imaginer la peine que peut ressentir un père qui risque de voir mourir son enfant. Je comprends mieux son visage triste, ses traits tirés.

— Comme j'ai un peu de temps libre, je me suis dit que je pouvais rester un peu pour vous faire la lecture, vous semblez si seule dans cette chambre.

Pauline est sans doute la plus avenante des femmes qui m'entourent ici, sa proposition me touche, mais je reste préoccupée par le sort de cet enfant.

— Oui, c'est très gentil à vous d'avoir pensé à moi. Est-ce que vous pouvez juste m'en dire plus sur la maladie de son garçon ?

— Malheureusement non, le petit est soigné dans cette clinique et je risque de trahir le secret professionnel.

Je la rassure en lui disant que je comprends, même si elle a piqué ma curiosité. Elle entame la lecture d'« Orgueils et préjugés » et me permet de m'évader de toute la noirceur de cette vie. 

Tu m'appartiens (CONCOURS FYCTIA)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant