Chapitre 7 - La rencontre

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Nous montons dans l'Alfa Roméo, clinquante de son voisin et atteignons la sortie de Concarneau dans un silence pesant. Je baisse le miroir pare-soleil de sa voiture et je ne me reconnais pas. Ma coupe carrée me donne un côté plus femme que j'apprécie. Je me sens libérée d'un poids. Je regrette juste mes yeux verts, un héritage de mon papa. J'ai l'impression de l'effacer. Les lentilles sont confortables pour le moment et personne ne pourrait se douter du changement.

Impatiente, je trépigne sur mon siège comme une enfant jusqu'à ce que Thalia se décide enfin à me parler :

— J'ai un cousin que tu as dû voir une ou deux fois, lors des repas de famille : Artémis. Il était assez timide et passait son temps dans la grange à bricoler avec mon grand-père. Il habitait dans les Pyrénées et nous nous sommes revus lors de l'enterrement de ma grande tante Françoise qui est aussi sa grand-mère, il y a deux ans.

Je me rappelle de ce petit garçon un peu rond et complexé qui restait toujours en retrait. Il préférait les outils aux enfants de son âge. Je n'ai même jamais entendu un son sortir de sa bouche. Je ne comprends pas trop ce qu'il vient faire dans notre histoire, mais je la laisse poursuivre.

— Sa grand-mère a laissé en héritage un manoir sur Belle-Île. Il est parti s'installer là-bas avec Julie qui a aussi investi dans les réparations et ils en ont fait un gîte. Je suis allée les voir plusieurs fois, ils sont adorables et ont une dépendance pour loger leurs amis et la famille, en retrait du gîte. C'est très sympa. Je les ai appelés tout à l'heure, ils acceptent de t'héberger le temps qu'il faudra. Je leur ai juste dit que tu étais une amie qui avait besoin d'un logement, rien de plus. Je te prêterai de l'argent pour les dédommager même si je doute qu'ils acceptent. Je les ai moi-même hébergés le temps que les ouvriers fassent le gros œuvre et qu'ils puissent emménager sur l'île. Nous arriverons dans une heure et demie pour prendre le bateau.

Je comprends mieux pourquoi elle a attendu que nous soyons dans la voiture pour m'annoncer tout ça. Même si l'idée semble idyllique sur le papier, elle sait que je suis incapable de monter sur un bateau... pas depuis que mes parents ont péri en mer. C'est impossible. Je n'ai jamais pu malgré des séances d'hypnose, de relaxation, les cours de gestion du stress post-traumatique, je ne peux pas. Je fais systématiquement des crises de tétanie.

Thalia pose une main apaisante sur moi :

— Je vois déjà les rouages de ton cerveau. Pense juste que Thomas ne te cherchera jamais là-bas : il connaît tes phobies. C'est une merveilleuse chance pour toi. Artémis passait la journée en ville sur le continent pour acheter de quoi réparer la toiture du gîte après la tempête, donc il t'accompagnera sur le bateau. Je repartirai de Quiberon dès ton embarquement pour pouvoir m'occuper de ton chien de garde comme tu aimes l'appeler. Il faut que je la persuade que tu es partie de ton propre chef. Et surtout, il faut que je protège ma mère de tout ça, je ne sais pas comment elle va prendre le fait qu'on se soit servies d'elle pour ta fuite, même si tu sais combien elle t'aime.

Je laisse défiler le paysage sous mes yeux et j'essaie de me convaincre que je n'ai pas d'autres solutions. Une fois là-bas, je pourrai reconstruire ma vie et vivre libre. Je pourrai me déplacer librement, manger ce que je veux, trouver un travail et avoir mon propre revenu.

— Thalia, ça me déchire le cœur de te dire ça, mais je préfère que tu leur mentes. Ils doivent penser que je suis partie après une dispute parce que tu essayais de me dissuader de m'enfuir. Il est préférable que nous n'ayons plus de contact jusqu'à ce que tout ça ne se calme. Thomas va te faire suivre, tu seras sur écoute. Le moindre doute et il risque de te faire du mal. J'ai l'impression de te perdre une deuxième fois alors que ça me fait tellement de bien de t'avoir à mes côtés. Je ne veux pas qu'il t'atteigne.

Tu m'appartiens (CONCOURS FYCTIA)Where stories live. Discover now