Chapitre 11 - Un coeur qui bat

120 30 26
                                    

Depuis deux mois, je me suis installée dans une douce routine et je reprends peu à peu confiance en moi et les autres.

Walou me suit partout et je crois bien qu'Art est jaloux. Il me laisse quand même tisser des liens avec son chien et je lui en suis très reconnaissante.

Art m'aide tous les jours en cuisine et semble aimer la pâtisserie. Même s'il est encore loin de faire des gâteaux mangeables, il me fait beaucoup rire. Je sens que mes barrières tombent petit à petit et sa proximité m'apaise plus qu'elle ne me dérange. Je m'attache à lui, à son sourire constant et à sa bienveillance. Il m'encourage quand je lui présente mes nouvelles recettes. Il m'a insufflé l'idée de créer des petits gâteaux bretons revisités, inspirés d'une recette de sa grand-mère. La boulangerie de l'île en vend aux locaux comme aux touristes. Julie en propose aux clients du manoir et sur un site internet à leurs noms : les gâteaux de Belle-Île.

Les ventes sont bien plus prometteuses que ce que je n'aurais pu espérer et avec ce que m'ont reversé Art et Julie le mois dernier, j'ai pu commencer mes démarches et demander une nouvelle pièce d'identité au nom de Lamart Marie, une carte vitale et m'ouvrir un compte bancaire.

Je me sens enfin indépendante. Cet après-midi, je dois me rendre pour la première fois chez la gynécologue de l'île afin de m'assurer que tout va bien. J'ai de plus en plus de mal à dissimuler ma grossesse et j'ai décidé de leur en parler ce soir, après le service. J'appréhende beaucoup leurs réactions.

Je quitte prudemment le manoir dans la voiture de Art, impossible de se tromper, il n'y a qu'une route qui mène au centre-ville. En à peine quelques minutes, je vois apparaître le port, je me gare sur le premier parking. J'ai pu regarder la direction sur internet. Je m'engage dans une petite ruelle. Je me retourne sans cesse. J'ai toujours cette appréhension qui me broie le ventre dès que je quitte le manoir.

Après deux mois, il serait déjà venu te chercher, il est passé à autre chose, certainement avec une de ses nombreuses conquêtes.

J'essaie de me raisonner lorsque j'arrive devant un petit portail en fer forgé. Une plaque noire, sur laquelle est inscrit Dr Le Floc'h Gynécologue Obstétricien en lettres dorées, trône sur le pilier attenant. Je tourne la poignée et suis l'allée jusqu'à un bâtiment moderne, en totale opposition avec son environnement. Quel endroit étrange ! Je n'ai pas le temps de sonner qu'une femme m'ouvre la porte. L'air sérieux, la démarche énergique.

— Madame Lamart, je suppose ?

Tandis que j'acquiesce, elle me montre d'un geste vif la direction de sa salle d'examen. Bon, le ton est donné.

J'avance d'un pas peu assuré, je m'installe sur le fauteuil et mens sur mon suivi. J'invente un nom de gynécologue à Paris, au fond, il y en a tellement, peu de chances qu'elle se pose des questions. Je prétexte qu'il a fait un infarctus et que je n'ai pas pu récupérer mon dossier. Plus le mensonge est gros, plus cela peut passer.

Elle me regarde, dubitative.

— Quand même, vous devriez avoir une copie de vos prises de sang, c'est un minimum. Êtes-vous immunisée contre la toxoplasmose ?

Je confirme par un hochement de tête. Par chance, je me rappelle très bien avoir eu la toxoplasmose vers l'âge de douze ans. J'avais mal partout, de la fièvre et des éruptions cutanées. Après plusieurs jours sans manger, ma grand-mère m'avait emmenée à l'hôpital. Une batterie d'examens : prise de sang, rayons X, fond de l'œil avait conduit à ce fameux diagnostic. Je vois encore la panique dans ses yeux quand elle m'a découverte maculée de taches rouges.

Le Dr Le Floc'h me prescrit des tests complémentaires et me demande de me déshabiller et de rejoindre la table d'auscultation. Le moment tant redouté est arrivé. Elle me détaille avec des yeux ronds de stupeur. Elle me harcèle de questions sur les cicatrices qui ornent le bas de mon ventre et mes bras, vestiges de mon passé. Je ne peux pas lui révéler la vérité. Je ne peux pas lui dire que Thomas est rentré, un soir, avec son matériel de chirurgien et m'a « marqué » d'un T juste en dessous de l'élastique de la culotte, une marque indélébile pour que « j'arrête de faire ma traînée ». S'en sont suivi des incisions sur mes avant-bras à chaque fois que je me refusais à lui. Il me soignait, s'excusant de ces gestes que je l'avais poussé à faire.

J'écrase la larme qui glisse sur ma joue, chaque cicatrice me brûle comme si elle se rouvrait.

Le docteur m'invite à m'allonger, son ton a changé. Elle pose une main sur mon épaule et me rassure :

— Ne vous inquiétez pas, quoi que vous ayez pu vivre, rien ne sortira de cet endroit.

Voyant que je m'obstine à garder le silence, elle poursuit :

— Je veux vous voir tous les mois jusqu'à la naissance de ce petit bout. Voyons à quoi il ressemble, voulez-vous connaître le sexe du bébé ?

Je secoue la tête, non, je ne veux pas connaître le sexe. J'ai cette inquiétude que ce soit un garçon et qu'il lui ressemble. Devant son air de plus en plus suspicieux, je me sens obligée de répondre :

— Je l'aimerai, peu importe que mon bébé soit une fille ou un garçon.

J'aimerais pouvoir être certaine de cette affirmation. Je l'espère en tout cas.

Je vois apparaître sur son écran un petit être entièrement formé. Mon bébé a le hoquet et son buste se lève de manière régulière. Je ressens une immense chaleur en moi. Mon bébé. Elle me fait écouter son cœur qui bat... si vite... si fort.... C'est normal. Le terme est prévu le 1er Mai. Elle examine mon col, long et fermé, je peux continuer mes activités.

Je me rhabille, heureuse, soulagée. Un beau bébé, en bonne santé.

Je la paie en liquide et lui demande une feuille de remboursement, terrorisée à l'idée que mon nom ressorte sur un dossier médical partagé et que Thomas y ait accès.

C'est certainement le rendez-vous le plus bizarre que le docteur a eu depuis longtemps et j'espère qu'elle n'a pas de doute sur ma capacité à être une mère responsable.

Elle fixe nos prochaines rencontres et me raccompagne en me souhaitant une bonne journée.

Je repars en chantonnant, une main sur mon ventre. Je le sens bouger en moi depuis quelques jours. Alors que je rejoins la voiture, toute l'organisation à prévoir avant sa naissance se bouscule dans ma tête.

Tu m'appartiens (CONCOURS FYCTIA)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant