Chapitre 24 - Tu mourras

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Cinq jours avant le jugement et toujours rien, pas un signe que je vais sortir d'ici. Je me sens de plus en plus faible. J'ai perdu énormément de poids. Je me nourris de jus de légumes et de fruits secs. Il veut que je retrouve ma taille mannequin, mais je ressemble plus à un cadavre qu'à un top modèle. Je ne suis plus que l'ombre de moi-même, il rentre de nouveau dans ma chambre, je ne suis plus capable de me lever donc il ne risque rien. Ça ne l'empêche pas de m'enfermer en son absence. Il me répète qu'il fait tout ça pour mon bien, que je ne suis rien sans lui.

Ce soir, il empeste l'alcool. C'est la première fois qu'il est ivre devant moi. Il a une grosse corde marron dans ses mains. Va-t-il m'attacher ? J'essaie de détourner la conversation, il me terrifie. À l'évocation d'Émilie, il me montre un document de Granger attestant d'un internement en psychiatrie, il l'utilisera au besoin, devant le juge. Il récupérera seul ce bébé pour le confier à sa mère. Elle est bien plus à même de s'occuper d'Emilie que moi. Elle sera éduquée dans la tradition familiale stricte. Elle ne deviendra pas une garce capricieuse comme moi. Il est obligé de le faire pour sauver l'honneur familial, mais si ça ne tenait qu'à lui, il laisserait cette bâtarde grandir en foyer.

— Pourquoi Granger fait-il tout ça pour toi ?

Enivré par l'alcool, il se confie à moi :

— J'ai trouvé un cœur à son fils. Il avait une malformation depuis sa naissance et il ne lui restait plus aucun espoir sans mon intervention. Tu sais combien de personnes attendent une greffe et meurent avant même d'atteindre le haut de la liste. Tu sais ce que ça m'a coûté ? Tout ça pour toi !! Pour que tu me reviennes ! Et toi tu es là inerte, tu ne fous rien de tes journées... Je te préférerais morte, tu sais. Tu me causerais moins de peine. Je pensais que tu m'aimais, mais tu t'es servi de moi. T'aimais bien mon fric, hein ? Ça t'excitait de te pavaner devant tout le monde à mes côtés ? T'avais ferré le gros poisson ? Qu'est-ce que j'ai pu être con de t'épouser ! Cela ne m'avait pas suffi de me marier avec une dépressive, il a fallu que je retombe dans le panneau !

— Tu as déjà été marié, où est ta femme ?

— C'est toi MA femme ! Anne s'est suicidée, elle s'est pendue au lustre juste au-dessus de ta tête, dans cette pièce. C'était une putain de dépressive jte dis !

J'ai envie de vomir, j'essaie de me relever, mais il me recouche, d'un simple geste de la main, sans effort. Il m'embrasse et me dit adieu. Ses lèvres au contact de ma peau me dégoûtent. Il me laisse la corde et le fond de sa bouteille de whisky. Il part en verrouillant la porte. J'essaie d'assimiler les dernières informations... Il était marié, il l'a poussée au suicide. Est-ce qu'il attend la même chose de moi ? Ce psychopathe m'a laissé l'attirail pour me pendre. Il m'affame, m'enlève tout espoir pour qu'il n'ait pas besoin de finir le boulot.

Même si je voulais en finir, j'en serais bien incapable. Je fixe le lustre puis la corde. Est-ce que sa femme erre encore dans cette pièce comme une âme en peine, attendant que justice se fasse ? Pourquoi personne ne m'a parlé de son mariage ? Est-ce que sa famille savait ce qu'elle a dû endurer pour en arriver là ? J'ai tellement de peine pour elle, cette femme qui a dû vivre ses derniers instants seule, sans le moindre espoir. Je vide le reste de la bouteille, je sens le liquide brûler ma gorge. Le peu d'alcool qu'il reste suffit à endormir mon esprit torturé.

C'est un cri qui me réveille, le jour à peine levé.

— T'es encore là ? Si tu n'en finis pas aujourd'hui, je te pends moi-même avec cette corde ! Ce sera lent et douloureux, je serrerais la corde millimètre par millimètre, et regarderais ton visage virer bleu puis violet jusqu'à ton dernier souffle.

Son rire me glace le sang. Non, je préfère le laisser me tuer de ses mains nues en espérant qu'il paiera pour son crime.

Il part au travail en prenant bien soin de verrouiller la porte de ma chambre. Je vis les pires minutes de ma vie. Les souvenirs défilent. Je suis à la fois soulagée que ce calvaire prenne fin et horriblement triste pour ma fille dont je ne pourrais même pas voir le visage. Ma fille que je n'aurai jamais serrée dans mes bras. Ma petite princesse. J'espère qu'elle connaîtra la vérité. Pardon d'être retombée dans ses filets. Pardon d'avoir cru qu'il y avait du bon en lui. Certains hommes n'ont rien de bon en eux. Je l'ai compris trop tard. Pardon d'avoir été si naïve.

Le jour décline doucement, il va rentrer d'une minute à l'autre. J'entends alors des coups secs sur la porte d'entrée. Puis une lampe torche traverse ma chambre et m'éblouit.

— C'est bon on l'a trouvée. 

Tu m'appartiens (CONCOURS FYCTIA)Where stories live. Discover now