Chapitre 19 - Culpabilité

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Je suis installée à l'arrière de l'ambulance, seule, en position allongée, diminuant ainsi la douleur de mes côtes fêlées. L'ambulancière n'a pas cherché à faire la conversation et moi non plus. Les cinq heures de trajets sont interminables et font monter en moi l'appréhension. Retour à la case départ. Les portes s'ouvrent, Thomas est là, bras figés le long du corps, vêtu de sa blouse blanche. Il parle laconiquement. Dernier étage, au fond du couloir, porte 507. Deux femmes s'exécutent.

La clinique a été construite dans un immeuble ancien. Contrastant avec l'extérieur, l'intérieur est très moderne, rien à voir avec l'hôpital dans lequel j'étais. L'ascenseur répond à une simple commande vocale, aucun contact. Thomas a toujours été obsédé par l'hygiène. On s'arrête au fond d'un couloir interminable, au quatrième étage, là encore, la porte s'ouvre grâce à un détecteur de mouvement. La chambre est immense, lumineuse, blanche, immaculée. Une des deux femmes, élégante malgré sa blouse, visage avenant, se présente : Pauline, elle se chargera de mes soins. Elle me détaille la pièce : le mobilier est neuf, une petite armoire pour mes effets personnels, une table de chevet et un grand fauteuil pour mes visiteurs. J'ai également une salle d'eau attenante. Je n'ai pas encore la force de me laver seule, elle viendra donc m'aider. Deux caméras sont placées dans ma chambre afin de s'assurer à distance que je vais bien, mais aucun enregistrement sonore. Dois-je la croire ? L'autre femme, Caroline, très belle également, sera responsable de ma rééducation. Inutile de demander qui les recrute. Elle agite son décolleté bien rempli sans la moindre pudeur, si elle savait à quel point je me fiche de ce que mon mari peut faire de ses nuits. Ce dernier m'explique qu'une troisième personne, psychomotricienne, s'occupera également de mon rétablissement. Le docteur Granger, quant à lui, viendra me voir dans le milieu de l'après-midi.

Une aide-soignante interrompt les présentations avec un plateau-repas. Une jardinière de légumes et un filet de cabillaud, tout est préparé sur place. Thomas peut de nouveau gérer mon alimentation et jubile. Il demande également un plateau et le personnel prend congé afin que nous soyons seuls.

— Mon ange, je suis si heureux de te retrouver. On va s'occuper de toi et bientôt, tu pourras réintégrer notre maison. Mère a hâte de te revoir. Nous étions tous très inquiets. Enfin, ne revenons pas sur le passé, tout se termine bien. J'ai sélectionné les meilleurs pour te remettre sur pieds.

Il a une voix mielleuse, il en fait trop pour être honnête, mais je ne rétorque rien. Je contemple la vue sur les immeubles haussmanniens de Paris. La clinique se situe en plein centre et, même si cette ville ne me manquait pas, je dois admettre que le panorama est magnifique.

Il me saisit la main, j'ai d'abord un geste de recul, instinctif, puis je le laisse faire. Il dépose un baiser sur mon front. Il a les lèvres rêches et froides, à son image, et j'ai une pensée pour Art, qui réchauffait mon cœur.

Il part sur une opération et laisse la place à un géant qui doit se baisser pour passer la porte. Il a une démarche maladroite. Ses traits sont tirés, il semble épuisé, triste.

— Bonjour, Cassandra, je suis ravie de vous revoir enfin, vous nous avez fait une peur bleue en disparaissant du jour au lendemain.

Il me parle comme s'il me connaissait depuis toujours et c'est très déstabilisant.

— Veuillez m'excuser, je ne sais pas qui vous êtes.

Je suis assez sèche, méfiante. Il semble surpris, prend le temps de la réflexion, me sourit presque amicalement.

— Intéressant, vous avez subi un traumatisme crânien, il est possible que cela ait altéré votre mémoire, mais, en général, c'est l'histoire de quelques jours.

Devant mon air dubitatif, il poursuit :

— Docteur Granger, je vous suis depuis deux ans. Nous avons des rendez-vous à la clinique une à deux fois par semaine.

IL MENT. IMPOSSIBLE. Mon faux dossier médical, c'est lui, cet homme à la voix douce et bienveillante. Je m'imaginais un homme froid, sec, si différent.

— Pardon, mais pour quel genre de suivi ?

Il s'assied dans le fauteuil qu'il décale sans difficulté pour me faire face, il replace ses grandes lunettes rondes et s'adresse à moi avec calme et détermination :

— Je connais votre impatience, mais il est important d'y aller étape par étape. Votre mari a programmé une séance d'une heure, j'ai besoin de m'assurer que vous êtes d'accord ?

Je hoche la tête, n'ayant d'autres choix que d'accepter. Je dois trouver la faille, les raisons de ce mensonge. Pourquoi cet homme est-il à l'origine du placement de ma fille ?

— Bien, pourriez-vous me parler de votre dernier souvenir, avant l'accident ?

Je ne peux cacher les tremblements que me procurent les derniers événements avant que ma vie ne bascule, ma voix est mal assurée quand je lui réponds :

— Mon mari me donnait des coups dans le ventre et je sentais un liquide couler entre mes jambes. J'ai réussi à me retourner pour protéger mon bébé puis le noir m'a engloutie.

C'est fugace, mais je perçois un malaise se dessiner sur son visage puis il tente de reprendre posture :

— Ce que je vais vous dire va certainement être compliqué à entendre, pourtant il le faut. Je fais cela uniquement dans votre intérêt. Il faut que vous puissiez accepter pour avancer. J'ai lu le rapport du médecin légiste qui vous a examinée le lendemain de votre arrivée. J'ai également écouté le témoignage de votre mari et, pour vous avoir suivie pendant deux années entières, je peux vous affirmer qu'il ne ment pas. Parfois, quand la vérité est trop dure à entendre, nous nous créons notre propre histoire. C'est, souvent, plus facile de penser que l'autre est à l'origine de notre mal.

— Que voulez-vous insinuer ?

— Je n'insinue rien, ce ne sont pas des suppositions, nous parlons de faits. Nous parlons de rapports médicaux et de témoignages des personnes présentes sur les lieux de votre accident. Cassandra, durant notre suivi, vous avez évoqué le fait d'être enceinte et je vous ai demandé d'arrêter vos traitements. C'était dangereux pour le bébé. Je vous ai également dit que sans les médicaments vous risquiez de passer par des épreuves très difficiles. Crises hallucinatoires, pics dépressifs ou maniaques. Votre mari a souhaité vous garder avec lui le plus longtemps possible avec l'aide de sa famille. Ce n'est pas de votre faute. Rien n'est de votre faute, vous avez une maladie. Je me sens terriblement coupable de ne pas avoir vu à quel point vous alliez mal. Monsieur Richard a remué ciel et terre pour vous retrouver. Nous avions peur pour votre bébé. Je peux vous assurer qu'il ne vous veut aucun mal. Il est là pour vous. Vous devez accepter de reprendre vos traitements et tout ira mieux. J'appuierai votre demande devant le juge afin que vous puissiez récupérer votre fille. Personne ne vous veut du mal.

J'ai envie de lui cracher ma rage, comme ose-t-il blanchir mon mari ? Qu'est-ce qu'ils veulent me faire subir, un lavage de cerveau ? Pourquoi ?

— SORTEZ, la séance est finie !

— Madame Richard, je comprends que cela soit compliqué à accepter, mais vous êtes forte, ne vous jugez pas trop sévèrement. Je vous laisse vous reposer, je repasserai demain.

Il se lève et déplie son corps difficilement, il a un sourire contrit qui me met hors de moi. Je détourne le regard et il quitte la pièce. J'analyse chacun de ses mots. Pour quelle raison un psychiatre risquerait-il sa carrière de la sorte ?

J'aimerais pouvoir appeler Thalia, mais je ne peux faire l'impasse sur les caméras qui me fixent en permanence. 

Tu m'appartiens (CONCOURS FYCTIA)Where stories live. Discover now