Chapitre 5 - La fuite

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Le jour J a enfin sonné. Je n'ai pris que le strict nécessaire pour deux jours, rien de trop, au risque d'éveiller ses soupçons. Je le regarde, une dernière fois : je ne ressens plus rien. Il est mort pour moi, il me prend la main pour me rapprocher de lui et me murmure à l'oreille :

— Ne me déçois pas ou un jour ce sera toi. N'oublie pas, jusqu'à ce que la mort nous sépare. Tu m'appartiens. Je t'aime Cassie de tout mon cœur.

Il m'embrasse sur les lèvres et ça me donne la nausée.

Je me détourne de lui et je rejoins sa mère dans le taxi qui nous attend pour l'aéroport :

— Mon mari ne m'a jamais fait d'adieux si romantiques ! Vous avez vraiment un conjoint en or, organiser un voyage en Bretagne sans que vous n'ayez à lever le petit doigt ni à débourser un centime !

— Je mesure cette chance tous les jours, ne vous en faites pas !

J'espère que l'ironie de ma voix ne m'a pas trahie. Apparemment non, puisqu'elle me répond :

— Je savais que vous reviendriez à la raison. Cela ne m'enchante guère de vous chaperonner, mais Thomas ne peut pas toujours se libérer pour vous, il a une charge de travail si importante. Et puis, s'il ne subvenait pas à vos besoins qui le ferait ?

Je ferme les yeux, respire profondément et fais abstraction du monologue de cette vipère. Je préfère me concentrer sur ma fuite. Je n'ai pas encore trouvé comment tromper sa vigilance, sachant que même à l'hôtel, nous avons une chambre commune, mais, ma décision est prise, je ne retournerai pas dans cet enfer. Encore vingt-quatre heures à endurer mon chien de garde et je ne la reverrai plus.

Arrivées à l'aéroport de Quimper en fin de matinée, nous reprenons un taxi pour Concarneau. Nous passons par la côte et j'ouvre la vitre malgré le froid de l'hiver et les protestations du chien de garde. J'ai besoin de sentir les embruns. Je me sens chez moi. Le vent presse les vagues contre les rochers, des promeneurs longent la plage des sables blancs. Pour la première fois depuis bien longtemps, un sourire se dessine sur mes lèvres. J'ai besoin de croire que je suis rentrée chez moi pour toujours. Je réalise que ma vie et celle de mon enfant sont ici, sur ces terres bretonnes. Là où j'ai grandi.

Nous nous arrêtons face aux remparts de la ville close et je l'entraîne vers une crêperie.

— Thomas ne va pas apprécier vos écarts.

— S'il vous plaît, cela restera entre nous.

Peut-être que je lui en demande trop, comme d'habitude, elle relatera mes moindres faits et gestes à mon « mari ».

— Je ne mentirai jamais à mon fils, faites, vous en assumerez les reproches.

Trop heureuse d'avoir enfin gain de cause, je m'installe, je commande une complète et une galette pomme-caramel au beurre salé. Je ne me souviens plus la dernière fois que je me suis autant régalée. Cette odeur de beurre, cette gourmandise sucrée-salée. Ce plat que j'ai si souvent partagé avec ma grand-mère qui aimait sortir sa billig pour le goûter. C'est sûr, elle était loin d'avoir une taille de guêpe, une vraie mamie gâteau. À son souvenir, je ravale une larme.

J'en avais presque oublié mon chien de garde, qui me fixe manger avec dégoût, elle a à peine touché à sa salade, elle ne sait pas ce qu'elle rate :

— Nous nous rendrons au cimetière après le repas puis nous rentrerons à l'hôtel, cette humidité m'épuise.

Elle règle ma part puisque je n'ai plus aucun moyen de paiement puis nous nous dirigeons à pied jusqu'au cimetière. Un petit crachin nous mouille et ça fait tellement de bien de se sentir chez soi. J'aurais aimé rejoindre la maison de ma grand-mère, m'asseoir à sa grande table et l'écouter me raconter les potins du quartier. On aurait partagé un bout de far breton et elle aurait insisté pour que je reste dormir. Elle avait un caractère bien trempé, mais n'a jamais été rancunière, elle m'aimait trop pour ça. Comment ai-je pu me persuader du contraire ?

Tu m'appartiens (CONCOURS FYCTIA)Where stories live. Discover now