Chapitre 3 - Dépossédée

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Une énième journée avec sa mère, « mon chien de garde », prête à tout pour sa famille, pour son fils. Complètement soumise aux hommes. Chaque discussion avec elle me montre à quel point son cerveau a été lobotomisé par son mari. Quand elle est avec moi, elle passe son temps à pianoter sur son téléphone des comptes rendus de ses activités, que ce soit au chef de famille ou à son fils. Bien sûr, j'ai également un vigile devant la maison... Au cas où ! Mais la plupart du temps c'est elle qui est CHARGÉE de moi. Oui je suis sa charge et elle me le fait bien sentir. Elle ne m'aime pas, mais quelque part je suis contente d'avoir ouvert les yeux, sinon je serais devenue comme elle, un pantin désarticulé.

— Thomas est tellement aux petits soins pour vous qu'il vous réserve l'esthéticienne. Vous ne vous rendez pas compte de la chance que vous avez d'avoir un mari si prévenant.

Je ne supporte plus son air pédant et supérieur quand elle s'adresse à moi.

— J'ai 26 ans donc la majorité bien dépassée, ce n'est pas parce que je suis mariée que je dois être privée de liberté, c'est illégal.

Je tente, chaque fois, de lui faire entendre raison, ils n'ont pas le droit de me faire ça, mais je suis forcée de leur obéir. Le père de Thomas, Pierre Richard, est l'ancien procureur de Chartres en Velay, ville voisine de Paris et il a des contacts partout, donc il m'est impossible ne serait ce que de porter plainte...

Elle me regarde de cet air offusqué, dans un déni constant du problème, comme si tout cela était normal et que je faisais un esclandre pour rien.

— Je vais éviter d'en parler à Thomas, car cela l'attristerait terriblement de savoir que vous vous comportez comme une ingrate encore une fois. Vous ne vous sentez pas libre, car vous êtes instable. Je gâche tout mon temps avec vous alors que, croyez-moi, j'ai bien d'autres choses à faire ! Votre mari, l'homme qui vous aime sans que j'en comprenne la raison, s'inquiète pour vous et votre intégrité mentale !

Je n'en peux plus d'être prise pour une folle alors que j'ai l'impression de faire partie d'une secte. Je suis passée de deux ans de liberté à une prison, dorée en apparence, mais terriblement cruelle à l'intérieur.

— JE NE SUIS PAS FOLLE !

— Répondez-moi sur un autre ton, arrêtez de vous donner en spectacle devant la bonne. Nous partons chez l'esthéticienne. Nous vous avons expliqué des centaines de fois que nous ne sommes là que pour vous protéger de vous-même. La nuit où Thomas vous a retrouvée à moitié morte dans cette ruelle, vous étiez partie sans prévenir. Après, vous l'avez accusé de vous avoir agressée alors qu'il vous a sauvé la vie. Il n'est peut-être pas psychiatre, mais il a fait des études de médecine et il a décelé des troubles mentaux sévères. Certes, vous ne voulez pas vous soigner, mais en attendant il est tellement inquiet qu'il veut que nous soyons là pour vous.

Toujours cette même rengaine, croit-elle seulement ce qu'elle dit ? Pensent-ils qu'à force de me répéter que je suis folle et que tous ces coups n'existent pas... je vais y croire ? Mon chien de garde croit que je me scarifie, que je me tape toute seule, que je chute dans les escaliers, que je suis maladroite, que je me coupe avec de la vaisselle cassée... Cette femme ne peut pas imaginer un seul instant que je puisse être victime de maltraitance... Non, elle est dans un déni tellement profond qu'elle ne voit même plus ses propres marques.

Alors que je me suis montrée en sous-vêtements pour l'épilation, elle attend que nous sortions pour me balancer ses remarques acerbes :

— Je comprends mieux les craintes de Thomas, vous êtes horrible avec toutes ces scarifications. Regardez-vous dans la glace ! Thomas plaît beaucoup aux femmes, vous devriez tout faire pour le garder.

Comme si je ne le savais pas, et c'est bien la dernière chose que je veux, le garder ! Oui, mon corps est mutilé, orné de cicatrices, mais je n'en suis pas responsable.

La journée passe doucement et je redoute ma soirée avec Thomas. Je hais devoir signer, mais je dois penser à mes retrouvailles avec ma mamie, ma mère de substitution. Retourner chez elle à Concarneau, c'est faire remonter tous mes souvenirs d'enfance, les odeurs du far breton dans le four, les clapotis de la mer. Le vent et les tempêtes à se réchauffer auprès du feu. Les sourires et les sorties entre filles. Ma meilleure amie, Thalia, qui a grandi là-bas avec moi. Mon chat que j'ai dû laisser quand j'ai quitté la Bretagne pour m'installer à Paris.

Des années que je refuse de vendre le seul bien qu'il me reste, mais si je dois céder ma boutique pour redevenir libre, alors je ne le regrette pas.

La soirée débute, je suis dans son grand bureau de type industriel, froid, à son image. Disposée à signer à 21 h pile, il est là face à moi, accoudé à la porte. Il me regarde de cet air de vainqueur que je ne supporte plus. Cet homme que je trouvais si beau est devenu par ses actes si laid.

— Je vois que tu es prête, bien, très bien même.

Comment n'ai-je pas vu ne serait ce qu'un signe ? Comment ai-je pu être aveuglée par l'amour que je lui portais, il y avait forcément quelque chose qui aurait pu m'éviter tout ça ? L'épouser après trois mois de relation... Je regrette tellement de ne pas avoir écouté les paroles sages de ma grand-mère. Il me terrifie quand il s'approche de moi. Je signe, il a officiellement la main mise sur tout mon argent.

Je rejoins notre chambre, le cœur lourd de tourner cette page de ma vie.

Je fixe le plafond, je ravale mes larmes pour ne pas l'énerver. Cette chambre qui a été notre chambre, ce lit qui a connu notre amour, des ébats tendres, mais aussi passionnels. Tout ce gâchis. J'ai honte de répondre à son chantage, je me sens trahie. Je n'oublierai jamais. Avec ce poids des agressions subies, des mots assassins, du dénigrement, de la folie. Je marche sur des œufs, je dois éviter les coups. Je me reproche de ne pas crier, de ne plus oser lui tenir tête, ne plus pouvoir faire de choix sans son accord, mais j'évite une vie de violence. Je me juge, je me sens coupable de laisser faire. Je suis faible et, même si je veux sauver mon bébé, je ne suis pas sûre, dans ces moments-là, d'arriver à me sauver moi. Lui, il ne se remet jamais en question. Il me regarde, et me souffle :

— J'adore quand tu finis par comprendre qui commande dans cette maison. Les autres filles, je ne les ai pas épousées, donc mesure ta chance, tu es la seule à partager ma vie. La plupart des hommes trompent leur femme et elles n'en font pas toute une histoire.

Il se penche vers moi pour m'enlacer, mais je m'éloigne, c'est la seule chose que je peux encore contrôler, pour l'instant. Je connais ma punition, c'est douloureux, mais préférable à un viol. J'ai eu un moment de faiblesse, un seul, et il en a profité, mais je ne ressens que de la pitié pour lui.

Il me toise, énervé que je lui résiste, je sais qu'il ne m'attend pas pour assouvir ses désirs.

— Regarde sur ta table de chevet, j'ai une surprise pour toi.

Je me concentre sur son cadeau, pensant immédiatement à des billets d'avion pour rejoindre ma grand-mère, je saisis une enveloppe à mon intention. Je la prends et en extirpe un courrier. Ce que j'y découvre me fait froid dans le dos. Je tombe à genoux, en larmes. 

Tu m'appartiens (CONCOURS FYCTIA)Where stories live. Discover now