Chapitre 28 - Un invité surprise

92 29 17
                                    

Je frappe à la porte plusieurs fois, je n'ai plus la clef. Thalia m'ouvre, le visage ensommeillé, inquiète.

— Qu'est-ce qu'il se passe ? Qu'est-ce que tu fais dans cette tenue en pleine nuit avec le froid qu'il fait ? Où est Julie ?

Elle me tend un plaid et je prends le temps de lui relater ma soirée. Je coupe mon portable qui sonne inlassablement, Julie, Art. Je supplie Thalia de les appeler pour éviter qu'ils ne viennent jusqu'ici, je n'ai pas envie de les voir. Elle les rassure et je me traîne jusqu'à ma chambre après avoir vérifié que ma fille allait bien. Je ne prends même pas le temps de me changer, je me laisse aller à ma peine, une bonne partie de la nuit, avant que le sommeil ne m'engloutisse dans une nuit agitée.

Le réveil est dur, mais je dois profiter de ce samedi pour m'avancer dans mes garnissages de macarons : chocolat et fruits de saison, crème à la poire, orange ou ananas. J'ai une importante commande lundi pour un mariage et cela me permet de ne pas réfléchir au désastre d'hier. Ma fille adore goûter aux différentes préparations, elle est aussi gourmande que moi. La journée passe à vive allure et je boude quand Thalia déboule en fin d'après-midi, je lui en veux de sa surprise ratée.

— Arrête de me faire les gros yeux, tu montres le mauvais exemple. Tu me parles d'Art sans arrêt, si tu apprends demain qu'il va se marier ou qu'il a rencontré une autre fille, tu ne t'en voudras pas d'être passée à côté de cette belle histoire ?

— J'ai retourné le problème dans tous les sens ! Déjà, il habite à deux heures de route dont une grande partie se fait par l'océan, un comble pour une phobique du bateau. Il gère une maison d'hôte, donc il n'est jamais disponible. On se verra quoi, une fois par mois ? Et cet unique soir, il devra accepter de m'entendre hurler et de me voir errer dans toutes les pièces comme une âme en peine à la recherche d'un MORT ! Par ici, la folle ! Dernier point, j'analyserais la moindre faille à la recherche d'un signe révélateur de sa perversion ou de sa toxicité. Je le comparerais sans arrêt à Thomas. Il mérite tellement mieux que ça.

Elle pose une main sur mon épaule et secoue la tête en signe de désapprobation.

— Et si tu baissais juste les armes, si tu arrêtais de te poser des tonnes de questions auxquelles seul le temps te donnera les réponses ? Et si tu lâchais prise et vivais chaque minute comme si le passé et le futur n'existaient pas. J'ai mal de te voir tout foutre en l'air ! Est-ce que tu te sens heureuse, là, maintenant ? Est-ce que de tout contrôler, tout calculer, tout prévoir te permettra d'accéder au bonheur ? N'essaie même pas de rétorquer une excuse bidon, je n'attends pas de réponse, je pars voir le dernier James bond au cinéma avec Théo, ça ira toutes les deux cette nuit ? Je peux toujours rentrer vers vingt-trois heures, ça ne me dérange pas, tu sais ?

— Une promesse est une promesse, je vais aller faire un tour avec ma petite princesse et après, on se fera une soirée mousse dans la salle de bain !

Alors qu'elle me regarde, dubitative, je lui réponds d'un ton moqueur :

— Tes leçons de morale s'appliquent aussi à toi ! Va rejoindre ton chéri ! Je suis majeure, tu sais, je peux bien passer une nuit seule !

Je ne sais pas qui j'essaie de convaincre, si c'est elle ou moi, mais il est temps que je me prenne en main. Elle fait un gros câlin à Émilie et part chez son voisin préféré. Nous faisons un tour rapide et nous nous posons quelques minutes sur la plage à écouter le bruit apaisant des vagues. Je regarde toujours l'océan en songeant à mes parents. Qu'est-ce qu'ils doivent bien penser de ma vie ? J'aurais tellement aimé qu'ils connaissent ma fille. Ils auraient fait des grands-parents formidables. Ils étaient de bien meilleurs parents que moi. À part Julie, Thalia, Théo et les quelques passants habitués à nous voir en ballade, je l'enferme dans une bulle de protection. Les parents de Thomas n'ont jamais tenté de nous contacter. C'est une bonne chose, mais c'est aussi devoir un jour lui expliquer qu'elle n'a plus de grands-parents. J'essaie de lui créer une famille de cœur. 

Je pense aux paroles de Thalia, vivre juste vivre, je caresse mes tatouages, LIBERTÉ. Suis-je vraiment libre aujourd'hui ? Est-ce qu'on peut se mettre soi-même des chaînes qui nous entravent ? Est-ce qu'on est responsable de notre propre enfermement, notre malheur ? Je ne vis plus dans cette prison, plus rien ne m'empêche de m'épanouir, j'ai récupéré ma fille, j'ai les moyens de subvenir à nos besoins, mais suis-je heureuse ? Je regarde ma fille sourire et oui, elle me donne tellement de joie, tellement de moments inoubliables. Qu'est-ce que je lui renvoie, moi ?

Elle babille et ses mains froides sur ma joue m'indiquent qu'il est temps de rentrer.

Je lui fais couler un bain moussant et on s'amuse à souffler sur les bulles. Elle boit un biberon et s'endort déjà. Je vais la coucher dans ma chambre et enclenche le baby phone vidéo qui me suivra partout. Je décide de me préparer un bon bain chaud à mon tour. Je savoure l'instant. Je rajoute plusieurs fois de l'eau chaude puis décide de sortir à regret. J'enfile le peignoir de Thalia, le seul habit décent qu'il y a dans cette salle de bain. Je retourne en cuisine grignoter les restes d'hier : quiche lorraine et un gâteau mousseux au coulis de groseilles. J'entends Thomas me dire que c'est une bombe calorique, que je vais encore grossir alors que je suis déjà énorme. Non, il est mort, il peut bien aller au diable avec ses réflexions ! J'aimerais qu'il arrête de me juger. Pour la peine, je me resserre une part de gâteau avec une double dose de coulis. Délicieux ! Je devrais quand même en laisser un peu à Thalia. 

J'observe ma petite Émilie dormir paisiblement et je décide de me lever quand un tintement retentit. Quel est l'idiot qui sonne à une heure pareil ? Je regarde dans le Juda et c'est le visage de Art qui apparaît. Je ne suis vraiment pas en tenue pour lui ouvrir ! Il sonne une deuxième fois et je suis obligée de faire taire ce bruit ou ce sont bientôt les cris stridents de ma fille que nous allons entendre !

Tu m'appartiens (CONCOURS FYCTIA)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant