Chapitre 13 - Un amour impossible

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Après une nuit blanche ponctuée de cauchemars, je me rends chez Art et Julie pour préparer le petit déjeuner des clients.

J'entre sans frapper, comme ils me le demandent et je m'attelle seule aux préparations. Julie vient me saluer, toujours souriante, comme s'il ne s'était rien passé la veille et je me demande comme elle fait pour garder le moral dans des circonstances pareilles. Je n'ose pas lui en reparler. Elle s'occupe du service aujourd'hui, car monsieur ne se remet pas de sa cuite de la veille, tant mieux !

Je prépare ensuite mes commandes de gâteaux bretons et ce n'est que vers onze heures qu'il arrive, les cheveux en bataille qu'il n'a pas coupés depuis la première fois que nous nous sommes vus et la mine grisâtre. J'aimerais le trouver moins beau, mais ça ne marche pas. Il a toujours ses grands yeux bleu-gris qui me scannent et cette moue boudeuse attendrissante. Quel est mon problème ? Thomas ne m'a pas suffisamment fait souffrir pour que je m'éprenne d'un mec en couple et infidèle ? Qui trompe en plus ouvertement et sans remords ?

Il s'approche de moi et me débite d'un ton froid que je ne lui connais pas :

— Pendant plus de deux mois, nous sommes restés là, durant des heures, à cuisiner ensemble. Nous avons partagé des moments de joie, mais je suis aussi resté dans les moments où tu étais fermée et ne disais rien, et toi, tu nous annonces comme ça que tu es enceinte de je ne sais quel idiot qui devrait être à ma place ?

Il secoue la tête d'une mine dépitée et me murmure :

— Je ne comprends pas, explique-moi, s'il te plaît....

Je lui rétorque immédiatement :

— Et moi, je ne comprends pas que tu aies une femme gentille, aimante, toujours joyeuse et que tu te permettes de m'approcher comme si je te plaisais et que, quelques heures après, tu ramènes une fille sous les yeux de Julie ?

Je continue, ironique :

— Je ne comprends pas, tu peux m'expliquer ?

Il écarquille les yeux et me hurle :

— TU ME PRENDS POUR QUI EXACTEMENT ?

Puis il reprend calmement comme une supplique :

— Pars s'il te plaît, je vais m'occuper du repas de ce midi.

Je rentre et je crois que c'est mieux comme ça. Je suis déçue et je revis en boucle notre conversation. C'est comme si je l'avais trahi alors que c'est lui qui manipule tout le monde. Je fais les cent pas devant la baie vitrée. Je me sens trahie. Le partager avec Julie, c'est douloureux, j'ai l'habitude, c'est elle sa femme, et puis, elle était là bien avant moi... Par contre, le voir avec cette pouffe... Je n'ai pas le droit de ressentir ça, et pourtant ça fait mal. Comme s'il m'avait trompée, moi. J'ai encore plus mal que quand j'ai appris pour Thomas, alors que je pensais être éperdument amoureuse de lui. Je n'aime pas Art... C'est différent, je me sens trop seule depuis longtemps et il a été si gentil avec moi que je me suis attachée, c'est juste une relation normale. Il faut que j'arrête tout ça.

Je me sens oppressée, je sors et descends sur ma petite plage privée. L'air est glacial, mais je suis à l'abri du vent et le soleil me réchauffe. Je pleure, car je me sentais vraiment heureuse et en sécurité ici et je ne sais plus ce que je dois faire. J'extirpe mes lentilles de rage. La couleur de mes yeux, ma vie, mon nom, mon passé ne sont qu'un mensonge. J'aimerais être moi... Juste moi... Cassandra. Pourtant, il faut que je pense à mon bébé. C'est sa protection, ma priorité.

Walou me rejoint et se blottit contre moi, il aime venir me voir et sa présence me réconforte. Il ne me juge pas, je pourrais lui raconter ma vie qu'il ne m'en tiendrait pas rigueur. Il m'aime peu importe ce que je dis ou qui je suis, il m'aime parce qu'il sait que je le protégerais comme lui me protégerais. C'est un chien et il vaut bien plus que la plupart des humains sur cette terre.

J'entends au loin Art qui appelle Walou et au lieu d'obéir, il aboie à côté de moi. Je lui ordonne de partir, mais ce chien est beaucoup trop têtu, si ce n'était pas un animal, je me dirais qu'il le fait exprès. Art nous trouve et il s'assoit sur la plage en face de moi.

Je ne sais pas si j'ai envie de lui parler, mais je peux au moins l'écouter.

Il plonge son regard dans le mien comme il le fait toujours, mais cette fois-ci j'y vois de la surprise. Je me rends vite compte que mes lentilles sont toujours dans ma main.

— Tu es une énigme, vraiment, je ne sais rien de toi. On travaille ensemble, tous les jours et je croyais te connaître... J'ai vu tes peurs, tes réactions exagérées, ton mutisme, tes angoisses sans que j'en comprenne la raison. Mais, la grossesse, maintenant tes yeux. Est-ce qu'on doit craindre de voir débarquer les flics ? Est-ce que tu as fait quelque chose de grave ? Est-ce que tu t'appelles seulement Marie Lamart ou c'est un autre mensonge ? Pourquoi es-tu ici ? Je m'attache à toi, vraiment, je ressens des choses que je n'ai jamais ressenties. Quand tu n'es pas avec moi, j'ai un manque, là.

Il pose une main sur sa poitrine et baisse la tête, presque honteux de ses sentiments :

— C'est très fort et pourtant j'ai l'impression de m'attacher à un mirage ! Je voudrais te détester. J'essaie de toutes mes forces, mais je n'y arrive pas.

J'aimerais pouvoir répondre à ses questions. Je ne peux pas, je préfère donc lui rétorquer sur la défensive :

— Ce ne sont que des paroles ça, Art. Tu as oublié Julie ?

Thomas aussi pleurait presque en me disant qu'il m'aimait et quand je vois le résultat, je ne me laisserai plus jamais avoir.

— C'est quoi cette histoire ? Je n'ai jamais été avec Julie. Nous sommes associés et c'est devenu ma meilleure amie. Est-ce que tu nous as déjà vus nous embrasser ? Avoir des gestes intimes ? Nous avons chacun notre chambre ! Quand je l'ai rencontrée dans ce refuge, elle avait été mise à la porte par ses parents. Ils avaient trop honte de son orientation sexuelle. Pour se donner bonne conscience, ils lui ont fait un gros chèque. En échange, elle devait quitter la ville et ne jamais reprendre contact avec eux. C'est grâce à elle que j'ai pu rénover le manoir. Ce qui s'est passé avec cette fille, c'était juste pour que toi, tu sortes de ma tête.

Je suis abasourdie par ses aveux. Même si je me suis attachée à lui, il a toujours été inaccessible dans ma tête et c'était plus simple pour tout le monde, surtout pour moi. De toute façon, il a quand même ramené cette fille, c'est ce qu'il fera à la moindre difficulté non ? Je ne suis pas prête pour tout ça, j'ai mon bébé, mes démons.

— Je suis désolée de t'avoir... encore une fois... accusé à tort. J'étais blessée pour Julie. Je ne ressens rien d'autre qu'une amitié profonde pour toi, et, même si ce n'était pas le cas, il n'y aurait rien entre nous. C'est impossible. Jamais.

Je me lève et m'enferme dans le penty, je ferme les rideaux et me laisse aller à mon chagrin.

Tu m'appartiens (CONCOURS FYCTIA)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant