Chapitre 2 - Le chantage

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Ce matin encore, sa menace résonne en moi, je dois puiser dans mes dernières forces pour lui échapper.

Face au miroir de notre salle de bain, je répète mon texte, comme une pièce de théâtre :

— Thomas, cela fait plus d'un an que je n'ai pas vu ma grand-mère, j'essaie de la joindre, mais sa ligne est coupée. Je suis très inquiète. Elle est la seule famille que j'ai... non, ne surtout pas dire ça... Elle fait partie de notre famille et je ne peux pas rester dans la crainte qu'il lui soit arrivé quelque chose. Est-ce qu'il serait possible qu'on aille... ne pas oublier de l'inclure dans le voyage... chez elle. Cela fait longtemps que nous ne sommes pas partis en vacances et nous pourrions profiter de la mer ?

Je sais qu'il ne pourra pas se libérer et ce sera l'occasion idéale pour fuir de cette maison.

Je reformule chaque phrase, je revois chaque mot pour me donner toutes les chances d'avoir son accord.

J'enfile un peignoir et me mets un peu de poudre pour cacher mon teint blafard. Il veut encore sauver les apparences devant sa cuisinière, la femme de ménage et le vigile à l'entrée de sa maison. Officiellement embauché pour ma sécurité, il doit surtout lui dresser un rapport de mes faits et gestes. Il y a aussi le jardinier, choisi bedonnant, pour « ne pas me distraire étant donné le peu de vertu que j'ai ». Thomas a tellement bien retourné la situation que tout le monde pense que je suis celle qui le trompe. Celle qui sort le soir pour draguer. Il est passé d'un homme bienveillant à un maniaque du contrôle, violent. Il enchaîne les phrases douces puis assassines et les coups portés dès que la réalité n'est pas à la hauteur de ses rêves.

Je descends à pas de loup dans la cuisine pour prendre notre petit déjeuner. Il m'attend toujours pour 7 h 30, avant de partir à la clinique. L'ambiance ce matin est électrique et je mesure chacun de mes gestes pour ne pas réveiller une énième crise et ses conséquences.

Je m'adresse à lui de la manière la plus neutre possible :

— Bonjour.

Il a les yeux rivés sur son journal, il m'impose d'être là. Je ne sais pas pourquoi à part peut-être pour asseoir son pouvoir sur moi.

— Hmm, tu as vu ton planning aujourd'hui ? Ma mère va te conduire chez l'esthéticienne, tu en as bien besoin.

Je ravale la boule de colère qui germe en moi chaque fois qu'il me lance des piques. Depuis six mois, il me prévoit un planning bien rempli qu'il décide au millimètre sans que je ne puisse émettre mon avis.

— Très bien. Puis-je te demander une faveur ?

Il congédie la cuisinière et me répond d'un ton cinglant :

— Tu as perdu ce droit depuis longtemps.

Voyant qu'il ne céderait pas, je joue ma dernière carte :

— En échange, j'accepte de signer les papiers.

C'est ma seule chance d'y arriver, de toute façon, il m'a interdit l'accès à ma pâtisserie depuis longtemps.

— Tu es vraiment prête à tout, ça n'augure rien de bon, je t'écoute ?

Je débite alors mon discours appris par cœur pour ne pas commettre d'impair et il me coupe avant même que je n'achève ma demande.

— Je ne pourrais pas t'accompagner, mais je veux bien que tu ailles voir ta grand-mère si tu acceptes la vente de ton boui-boui.

Ma réponse est déjà toute trouvée. Je préfère me plier à son bon vouloir, il aurait fini par user de la force pour m'y contraindre. C'est même étrange qu'il ait accepté si facilement. Peu importe, je suis prête à tout pour retrouver ma liberté. Je ne veux pas que mon enfant vive ici, avec lui. Je dois partir avant qu'il ne s'en aperçoive, peu importe les moyens.

J'analyse le plateau de nourriture que la cuisinière m'a préparé minutieusement et cache le dégoût qu'il m'inspire. Je porte à mes lèvres le smoothie de légumes verts, mais la nausée me gagne, comme chaque matin. Je me force et ravale la bile qui remonte, je ne peux lui montrer le moindre signe.

Je suis la seule à savoir que je suis enceinte. Il m'a fallu deux mois de retard pour que je me rende compte de l'inimaginable. Je n'ai pas pu faire de test, mes sorties, mes achats sont tous contrôlés. Impossible de voir mon médecin, car son cabinet se trouve dans la clinique de mon mari. Il est impensable que je demande à voir un spécialiste sans éveiller ses soupçons.

Peut-être que c'est ça, l'instinct de survie, se raccrocher à un élément, aussi insensé soit-il pour s'en sortir.

Je me fiche que ce soit lui, le père, je ne le laisserai pas déteindre sur mon bébé.

Il ne le saura jamais. Je partirai loin. Aujourd'hui, cela ne choque personne d'élever un enfant seul.

Il n'en a jamais voulu, c'était trop tôt, puis ce n'était pas compatible avec son rythme de vie. Son bébé risquait de perturber son sommeil si important pour opérer. Moi non plus, je n'en ressentais pas l'envie au début, mais j'espérais fonder une famille un jour.

Quand j'ai compris que j'attendais un enfant, ma joie dominait la peur. Il n'est pas né que je ferais n'importe quoi pour le protéger. J'ai grandi avec ma grand-mère et j'ai été heureuse. Mes parents laisseront toujours un vide en moi, mais j'ai eu la chance d'avoir une mamie aimante.

Le bruit sourd d'un poing qui claque sur la table me sort de mes pensées.

— Toujours dans la lune, dépêche-toi, mère arrive dans 30 minutes. Fais-toi présentable. Je reviendrai à 21 h, avec le contrat de vente.

Il se lève sans attendre ma réponse, revêt son manteau et claque la porte.

Tu m'appartiens (CONCOURS FYCTIA)Where stories live. Discover now