Chapitre 25 - Séquelles

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Je suis dans notre chambre, il m'a permis de remonter. Je devrais être soulagée d'être enfin libre, mais je ressens au fond de moi une terrible angoisse. Il est là, face à moi, vêtu de noir, sombre, inquiétant, ses yeux reflètent sa folie meurtrière. Il me surplombe et dans un geste précis, porte ses mains à mon cou, j'essaie de les enlever, je me débats, je suffoque. Il serre si fort que je sens ses ongles percer ma chair. Il me fixe avec ce sourire carnassier et me répète inlassablement : « je te l'avais dit, tu n'as pas voulu m'écouter, un jour ce sera toi, tu m'appartiens... » Cette litanie ne s'arrête pas, j'essaie d'appeler Émilie mais aucun son ne peut sortir de ma gorge écrasée. Je ne veux pas mourir.

– Cassie, arrête, s'il te plaît, tu vas réveiller ta fille, arrête, tout est fini, tu es en sécurité.

Alors que je me débats encore et encore, la voix douce de Thalia me ramène au présent. Des larmes baignent mes yeux, je me lève, je vérifie qu'Émilie va bien, je fais le tour de chaque pièce, chaque recoin, j'ai besoin d'être sûr qu'il n'est pas là.

— Tu te fais du mal, il est MORT depuis quatre mois, tu m'entends, regarde-moi, il est MORT ! Il ne reviendra pas, il ne peut plus te blesser, il ne peut plus rien.

Elle me prend dans ses bras. C'est fini, il est mort, c'est fini. Je me laisse tomber sur le lit. Je veux qu'il me laisse, même mort, il me hante toujours.

J'aurais aimé m'être libérée de son emprise par moi-même, par ma force de caractère, ma détermination. J'aurais aimé dire à ma fille que j'ai gagné ma liberté, toute seule, que j'ai été plus intelligente que lui...

La réalité est tout autre. Aujourd'hui, je suis libre, totalement libre de vivre comme je l'entends. Il est mort. Au moment de l'interpellation, Thomas a préféré se jeter dans le vide que de montrer au monde son vrai visage. Les apparences. Plus importantes que tout, plus importantes que sa propre vie. Il n'est plus là, mais il me suit toujours. Il s'est infiltré dans mes pensées, il me culpabilise, il m'emprisonne, je le vois alors qu'il n'est plus. Il n'y a pas eu de procès, on ne juge pas un mort et pourtant lui le fait de là-haut.

La dernière semaine passée dans cette chambre lugubre m'a laissé des séquelles importantes. La nouvelle psychiatre qui me suit parle de choc post-traumatique. Je me bats, je chute puis me relève, je me le dois, je le dois à mon bébé. Un jour, je serai libre, pas juste physiquement libre, non, libre en pensée et en action. Il n'est pas encore mort dans ma tête. Cela prendra du temps.

Thalia me regarde, avec compassion et bienveillance, elle comprend, toujours. Elle est là, chaque nuit, elle reste auprès de nous. C'est une deuxième maman pour ma petite Émilie. Elle comble mes lacunes, elle comble mes blessures. Elles sont ma force, mon courage, ma détermination. Elles m'aiment quand je ne suis pas capable de le faire. Elles me pardonnent ce que je ne me pardonne pas. Elles sont ma famille, mon ancre dans les angoisses, dans la folie qui menace de m'engloutir.

— Un jour, tu ne te souviendras même plus de son visage, un jour, il disparaîtra vraiment de ta vie, mais en attendant, ne sois pas trop sévère avec toi.

— Émilie est une éponge, j'ai peur de lui transmettre toutes mes angoisses, j'ai peur pour elle. Et si je ne m'en sortais jamais ? Et si j'étais trop cassée ?

— Arrête ! C'est de la torture mentale, Émilie dort, elle est calme, elle sourit tout le temps. Bien sûr qu'elle ressent tes peurs, mais elle ressent aussi tout ce que tu fais pour elle, elle voit une maman forte, une battante. L'expert psychiatrique a réfuté toutes les allégations du docteur Granger ! Le juge t'a laissé récupérer ta fille. L'assistante sociale trouve que tu t'en sors à merveille. La culpabilité ne t'aidera pas à t'en sortir. Regarde le chemin parcouru, ce n'est pas tes terreurs nocturnes qui vont dicter ta vie. Tu te rappelles ce que disait ta mamie : « les fantômes de la nuit disparaissent au soleil ». Allez, fais-moi une petite place, il est temps de se rendormir.

Elle me rassure, comme toutes les nuits depuis quatre mois, elle devrait être avec son chéri, mais elle est là pour moi, ma sœur de cœur. Elle m'a accueilli après une seconde hospitalisation. Multiples fractures, dénutrition, j'aurais pu mourir là-bas, mais le destin en a décidé autrement. Le destin et mes amis, Thalia, Julie et Art ne m'ont jamais laissé tomber. Ils ont fait tout ce qu'ils ont pu pour me retrouver. Thomas leur avait fourni les preuves de mon internement en Hôpital psychiatrique. Ils ont continué à se battre jusqu'à la lettre que mon bourreau leur a donnée. Thalia a tout de suite compris que j'étais en danger. Le détective privé avait déjà retrouvé le dossier lié au décès de sa première femme. Il a pu faire le lien avec mon propre dossier et a mis en évidence les mêmes cicatrices, les mêmes traces de coups. Le père de Thomas avait réussi à étouffer l'affaire. Grâce à ces preuves, la police a accepté de vérifier mon internement supposé et a conclu que mon mari avait menti. C'est grâce à mes amis que je suis là aujourd'hui.

Je pose ma main sur le ventre rebondi de mon bébé chéri et sa respiration m'apaise. La veilleuse me permet d'observer qu'elle va bien. Je sais qu'elle devrait dormir dans sa chambre, mais je n'arrive pas à la laisser. Je regarde son visage de poupon, j'admire son calme, ses traits sereins. Quand j'ai pu la tenir dans mes bras pour la première fois, j'ai ressenti un soulagement indescriptible. Enfin, je me sentais entière. Elle avait trois mois quand j'ai pu la voir, d'abord en photo puis quelques heures chaque jour et enfin un week-end entier. J'ai dû prouver que j'étais capable de m'en occuper malgré les séquelles de mon agression. Elle est si mignonne, avec ses cheveux dorés et ses grands yeux verts. C'est elle que je vois, pas son père. Sa petite fossette quand elle sourit et son nez retroussé ne trompent personne, mais c'est ma jolie petite fille. Dans la douceur de son regard, dans ses rires, je sais qu'elle ne sera jamais comme lui.

Je finis par me laisser emporter par le sommeil et ce sont les pleurs d'Émilie qui me réveillent.

— Laisse, c'est moi qui m'occupe de ce petit trésor ! Tu as une tonne de macarons à préparer !

Je ne l'écoute pas et prends ma fille dans mes bras pour la réconforter. Son visage est rougi par les larmes, elle a faim et sait nous le faire comprendre. Je finis par la laisser à regret devant la moue boudeuse de mon amie. J'ai beaucoup de travail depuis que je réalise des macarons pour les cafés et restaurants du Finistère. La cuisine de Thalia n'est pas aussi équipée que celle du manoir, mais avec quelques aménagements, nous avons réussi à en faire une vraie cuisine fonctionnelle qui tourne à plein régime.

Je prends une douche rapide et nous partageons un petit déjeuner dans la bonne humeur.

— Tu es prête pour ce soir ? 

Tu m'appartiens (CONCOURS FYCTIA)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant