9 - ANTOINE (2/2)(✔️)

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Antoine admira un instant la modernité de la nouvelle station Saint-Lazare qui se dressait à l'orée de la rue du même nom. Deux ailes encerclaient le corps principal, agrémenté d'élégantes arcades et d'une façade néo-classique. Les corniches sculptées resplendissaient d'une blancheur neuve en parfait contrepoint des bâtisses usées qui cernaient la place. La gare ignorait avec superbe les trouées percées dans les avenues, les montagnes de gravats et les échafaudages accrochés aux immeubles voisins.

— Tous ces travaux... commenta Mirabelle.

— Vous désapprouvez, j'imagine ? marmonna Antoine.

Elle lui lança un coup d'œil étonné.

— Absolument pas. Ce serait plutôt à vous de vous y opposer !

— Je suis ingénieur, le progrès ne me fait pas peur, bien au contraire. Ce sont les magiciens qui cherchent sans arrêt à le freiner.

— C'est doublement faux. Vous n'êtes pas ingénieur pour commencer...

— Ne jouons pas sur les mots. Les académies passent leur temps à interdire la recherche scientifique sur le flux, vous n'allez quand même pas me soutenir l'inverse ?

Mirabelle détourna la tête.

— Vous mélangez tout. On ne peut pas laisser n'importe qui mener des expériences sur un sujet qu'il ne maîtrise pas.

— Étudier les sujets peu maîtrisés, c'est quelque peu le principe de la science, vous en conviendrez... objecta Antoine.

— En tout cas, c'est une bonne chose que les villes se modernisent, éluda-t-elle. Beaucoup d'endroits restent encore difficiles d'accès pour les magiciens à cause des matériaux métalliques. Ils n'ont pas été pensés pour leurs usages.

Cette fois, il éclata franchement de rire.

— Vous croyez vraiment ce que vous dites ?

Elle plissa le front et il enchaîna :

— Les autorités se fichent bien de savoir si les magiciens peuvent circuler ou non. Ces aménagements sont purement sanitaires.

— Mais le statut des mages...

— N'a pas changé depuis le Premier Empire, lorsque Bonaparte a compris que la magie représentait un atout militaire. Vous êtes des outils au service de l'état, rien de plus. Croyez-vous vraiment que l'empereur, un ordinaire notoire, voit d'un bon œil la progression de l'influence des Académies ? Vous êtes naïve de penser que les ministres de son cabinet se soucient de votre bien-être.

Il s'interrompit alors que le fiacre passait devant la gare et se renfonça sur la banquette.

Un juron s'échappa de ses lèvres : la place du Havre grouillait de gardes impériaux, leurs galons rouges comme autant de pustules sur un visage ingrat.

Mirabelle suivit son regard et pâlit.

— On ne peut pas descendre.

— À l'évidence.

Il fit coulisser le volet qui les séparait du cocher et exigea d'une voix qu'il tenta de rendre détendue :

— Place de l'Europe, je vous prie.

— Bien monsieur.

Diligemment, le fiacre contourna la gare et s'éloigna de son parvis pour longer la rue qui bordait les voies.

— Qu'avez-vous en tête ? demanda Mirabelle d'un timbre crispé.

— Ça ne va pas vous plaire.

Il fit arrêter la voiture à l'entrée de la rue de Naples, suffisamment loin de la station pour que la zone soit dépourvue du moindre uniforme de garde.

Les Accords ÉlectriquesWhere stories live. Discover now