Chapitre 86

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À chaque pas qui me rapproche de la lumière, un vent violent me repousse dix pas en arrières, m'enfermant davantage dans la grotte obscure où je sombre.

Je me sens plus bas que terre. Il me regarde de haut en me scrutant de ses yeux noircis par la colère. Si sa fille n'était pas là, il se serait jeté sur moi il y a bien longtemps. Rectification: Il aurait envoyé ses chiens se jeter sur moi il y a bien longtemps. Mais il reste droit comme un "I", les mains derrières son dos.

Pour la première fois de ma vie, pour la toute première fois, je sens que je ne peux vraiment rien faire. Un frisson me parcourt l'échine, et une sueur froide vient perler sur mon front alors que mes poils s'hérissent tout le long de mon corps. Mes poings se serrent alors que j'essaye tant que possible de garder l'équilibre dans cette situation pas vraiment équitable.

La présence de sa fille forme une armure invisible entre nous, un mur aussi fin qu'un cil mais aussi puissant que la muraille de Chine. Indestructible. Il ne pourra rien faire maintenant, mais hélas, il pourra tout faire plus tard: mort d'un accident de voiture, mort d'un accident lors d'une opération mineure, mort après une tentative de vol qui a échoué... les possibilités sont multiples, et - devant la grande imagination de Wilkerson - je ne donne pas cher de ma peau. Il faut que je trouve un moyen de me sauver, et de la sauver, ce qui est le plus important.

Et, bizarrement, le script se trouve déjà dans ma tête, comme si je me suis entraîné à cette scène plusieurs fois, comme si je connais cette scène de films par cœur et que je ne fais que la répéter. Toutes les paroles et les gestes que je dois dire et faire sont dessinés dans ma tête comme une toile de peinture qui n'est pas encore terminée. Une toile qui ne manque que le coup de maître, la signature et le dernier coup de pinceau qui clôture ce chef-d'oeuvre: L'exécuter.

- Je suis venu parler à Samar.

Ma voix gutturale essayant de paraître coléreuse et sincère attire l'attention de Samar qui relève sa tête avec encore plus de surprise qu'avant, analysant chacun de mes gestes sans sortir un seul son, fronçant ses sourcils interrogateurs.

- Elle ne me laissera lui parler que si je le fais de force, lançais-je. Alors je reste là.

- Personne ne force ma fille à faire quoique ce soit ! Sors de mon bureau !

Sa grosse voix pleine de haine est le parfait signe prouvant que ma petite mise en scène a apparemmemt fonctionné.
Espérons-le, mais vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué ne fait pas partie de mes habitudes.

- Samar, sortais-je en ignorant le regard de braise de son père. On doit parler.

La balle est désormais dans son camp, et ses talents d'actrice sont notre seule chance de pouvoir sortir de cette entreprise en une seule pièce.
Je vois son regard bouger en une vitesse phénoménale de mon visage, jusqu'au visage de son père, pour enfin venir planter ses yeux verts dans mes miens en crispant sa mâchoire.

- Sors de là Jonathan.

Le père nous regarde tous les deux, nous mettant à nue de son regard brûlant, analysant chaque pensée sortie de chacun de nos cerveaux, pour enfin être interrompu par la voix faussement exaspérée de Samar.

- Papa, je ne peux pas le voir, je te laisses, souffle-t elle en essuyant une fausse larme de sa joue.

Le regard transpercant ne me quitte pas, même après le départ de sa fille. Un long moment de silence s'impose, en attendant la décision du poisson: Mordre à l'hameçon ou bien ne pas tomber dans le piège.

Finalement, après des secondes aussi longues que des années, il finit par siffler:

- Sors de là si tu n'as pas envie de mourir et de voir ton coeur dans le corps d'un inconnu.

Enfin libre ?Where stories live. Discover now