Une Charmante Famille (Partie II)

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Mes genoux tremblaient. Je me sentais terriblement nerveuse. En témoignait mon incessant tremblement de la jambe droite. Et mon regard inquiet qui se baladait dans tous les coins de la salle à manger. Un décor luxueux, comme le reste de la Résidence Royale. Des tableaux impeccables et un imposant lustre occupaient toute mon attention au moment où la princesse Devonne prit silencieusement place face à moi. Lorsque je croisai son regard dur, je sentis mon sourire forcé fondre comme neige au soleil.

— Bonjour, tentai-je maladroitement.

— Bonsoir, corrigea-t-elle avec suffisance. Ne soyez pas ridicule, il est plus de dix-neuf heures.

S'adossant au dossier de sa chaise, Devonne me fixa alors intensément. Je compris qu'elle essayait de me lire. Mes lèvres s'étirèrent d'elles-mêmes en un sourire satisfait lorsqu'une expression de frustration totale se peignit sur ses traits. Le roi arriva quelques instants plus tard et, en voyant la mine déconfite de sa fille, posa aussitôt son regard froid sur moi.

— Bonsoir, mademoiselle Taylor, dit-il avec un sourire indéchiffrable. J'espère que votre chambre est à votre goût.

— Elle l'est, répondis-je, la gorge soudain sèche.

La princesse eut un reniflement de mépris.

— Évidemment, dit-elle, lorsqu'on a vécu toute sa vie dans un taudis, des plaintes seraient inappropriées.

Je me cognai bruyamment le genou contre la table, ce qui fit rire Devonne à gorge déployée.

— Tu ne sais rien ! m'écriai-je en tentant de maîtriser le feu dans ma poitrine, le même qui m'avait assaillie lors de la mort de Jake. Au moins, moi je connais la valeur du travail et des efforts fournis ! Je ne reste pas plantée là à attendre que l'on s'occupe de moi !

Je vis une lueur indéchiffrable passer dans les yeux de Devonne, qui ouvrit la bouche à nouveau. Mais au même moment, son visage se crispa de douleur. Je la dévisageai, surprise. Le visage de Thobias demeura inexpressif. Pourtant, sa fille lui lança un regard craintif avant de se tasser sur sa chaise.

— Bonsoir Votre Majesté ! claironna une voix enfantine, brisant instantanément la tension régnant dans la pièce.

Je souris en découvrant le petit Charles sur le pas de la porte, Geneviève se tenant derrière lui. Tous deux s'assirent de part et d'autre de moi. Je me détendis légèrement lorsque la jeune fille m'adressa un sourire encourageant. À ma grande surprise, même le petit garçon semblait m'inciter au calme de ses adorables yeux pétillants.

— Kian n'est pas encore là ? s'étonna Geneviève en regardant autour d'elle comme si son cousin pouvait être caché sous la table.

Thobias laissa tomber son poing sur la table, nous faisant tous sursauter. Des couverts tombèrent au sol.

— Kian n'est qu'un bon à rien ! s'écria-t-il. Il doit être je ne sais où à briser toutes les règles qui régissent son titre.

Quelques minutes passèrent, et le concerné fit son entrée d'une démarche souple et parfaitement détendue, sans même prendre la peine de s'excuser de son retard.

— Tu t'es fait attendre, fit remarquer sa sœur en attrapant sa fourchette, le regard agacé.

Kian ne lui accorda aucune attention. Lorsque son regard se posa sur moi, la douce lumière de la pièce se refléta dans ses yeux, dont le vert s'éclaircit encore. Le prince prit lentement place sur le dernier siège vacant, à la droite de sa sœur.

Des serveurs s'activèrent discrètement autour de la table, se chargeant de la recouvrir de victuailles. Je les regardai en silence, sidérée. Il y avait là assez de nourriture pour nourrir plusieurs familles à Kalénine. Cela me rappela d'ailleurs que je n'avais pas eu de véritable repas depuis des jours...

Je m'efforçais de ne pas manger avec trop de voracité lorsque le roi prit la parole :

— Mademoiselle Taylor.

J'avalai ma bouchée de viande en m'efforçant de ne pas m'étouffer avec, puis levai les yeux vers lui.

— Vous faites désormais partie de la Cour. Et suivant votre titre, vous avez beaucoup de choses à apprendre, de progrès à faire...

Il s'interrompit avant de poursuivre :

—Vous devez savoir que dans deux mois aura lieu le Bal des réjouissances. C'est un évènement annuel et unique, au cours duquel des mises au point et des bilans de l'année en cours sont établis. Des personnalités politiques importantes seront présentes pour l'occasion. Tout y est extrêmement prestigieux. Beaucoup ont déjà entendu parler de votre existence, et ils veulent vous rencontrer. Deux mois. Voici le délai qui vous est accordé pour apprendre à vous comporter comme une jeune fille digne d'assister à ce bal. Je vous conseille entre autres d'apprendre à contrôler votre langue. Les Inaptes de l'Ouest ont droit à une éducation dès leur plus jeune âge, c'est un droit qui ne leur a jamais été refusé. Cependant, vous devez encore parfaire votre comportement en public, qui laisse à désirer.

À ma propre surprise, je me mordis la lèvre pour ne pas éclater de rire face à son ton condescendant. Comme si le souverain lui-même était en mesure de me donner des conseils concernant mes relations avec les autres, avec son habitude de prendre les autres de haut et de tuer des innocents pour satisfaire ses larbins.

Thobias joignit les mains en face de lui.

— Pourquoi ne pas commencer par faire connaissance avec quelques filles de la bonne société ? Histoire d'apprendre... quelques ficelles concernant le fonctionnement de ce monde.

Il se tourna vers Devonne.

— Tu pourrais inviter certaines de tes amies pour le petit-déjeuner demain, la fille du capitaine Allen par exemple, et Diana. J'ai entendu dire que la seconde venait d'arriver à la Cour. Et Avril Allen réside actuellement au Palais, à quelques pas.

La Princesse resta bouche bée un moment, mais comme elle s'apprêtait à protester, son père lui adressa de nouveau son fameux regard froid et impersonnel. Moi qui pensais qu'il m'était exclusivement réservé...

— Pourquoi pas, murmura-t-elle finalement en baissant la tête.

— Vous êtes sûr que c'est une bonne idée, père ? intervint Kian avec un regard coulé dans ma direction.

Une grimace dédaigneuse au visage, Thobias répliqua :

— Ce n'est sûrement pas en te fréquentant que Kylie apprendra les bonnes manières, je sais parfaitement ce que je fais.

Le concerné leva les mains en l'air, feignant l'indifférence, mais j'aurais juré voir les commissures de ses lèvres s'abaisser lorsqu'il reporta son attention sur son dessert.

Quant à moi, j'étais demeurée silencieuse tout au long de la tirade du roi. Ce dernier n'avait clairement aucun respect pour moi ou ma famille. Je me mordis la lèvre en pensant à ma mère. Je ne doutais pas qu'elle ait visionné l'émission de la dernière fois. Elle devait donc savoir que j'étais toujours en vie. Quoique... Thobias avait donné l'ordre de tout couper bien trop brusquement. Je perdis brusquement l'appétit en songeant que ma famille devait se faire un sang d'encre à cause de ça, s'imaginant que j'avais connu le même sort que Jake.

Je reposai mes couverts et me passai une main sur le visage, soudain nauséeuse.

(Gratuit le 3 Janvier) APTITUDE : Le Chaos Et La Couronne.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant