Bonus#2 (Calvin) : La Tour D'Ivoire (Partie I)

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La tête entre les mains, je me concentrais tant bien que mal sur ma respiration. Mes doigts fébriles s'agrippaient à l'étoile dorée épinglée au revers de mon uniforme. Je sentis bientôt mon souffle s'apaiser. Cela marchait à tous les coups. Le métal froid de l'insigne suffisait à me reconnecter à la réalité. Ou plutôt, cette ridicule médaille était ma réalité. Je n'avais vécu les vingt dernières années de ma vie qu'en rêvant de la décrocher.

Je fus tiré de mes pensées par la porte de ma chambre, qui s'ouvrit à la volée. Je bondis aussitôt sur mes pieds, la mâchoire serrée à m'en casser une dent. En découvrant l'identité de l'intrus, j'aboyai :

— Bon sang, Dean ! On ne t'a jamais appris à frapper aux portes, de l'endroit paumé d'où tu viens ?

Les yeux écarquillés, l'intéressé pinça les lèvres. Agacé, je secouai la tête.

— Tu sais quoi, ajoutai-je. Je m'en contrefiche. Qu'est-ce que tu veux ?

— C'est le premier anniversaire de votre nomination à la tête des Gardes, Chef, déclara Dean en haussant un sourcil. Tout le monde vous attend en bas.

Je me radoucis aussitôt, échouant néanmoins à effacer l'expression d'agressivité de mon visage. De toute façon, c'était sans doute celle que j'arborais le mieux. Je poussai un profond soupir.

— Je sais quel jour on est, soufflai-je. Je descends dans un instant.

Mon interlocuteur hocha la tête en faisant mine de quitter la pièce. Il revint néanmoins sur ses pas, trop vite à mon goût. Je me retins de lever les yeux au ciel en remarquant l'hésitation peinte sur ses traits. Le Garde sembla peser le pour et le contre un moment.

— Vous savez, vous êtes devenu le modèle de toute une génération, commenta-t-il finalement. Le symbole même de la réussite. L'exemple qui prouve qu'il est possible d'abattre n'importe quel obstacle avec un peu de persévérance. Grâce à vous Calvin, j'ai compris que tout le monde peut décrocher la lune.

Pris de court, je demeurai silencieux. Étrangement, je ne ressentis aucune sympathie face à ce discours mielleux. Aussi, je me contentai de le remercier d'un hochement du menton. Loin de s'en formaliser, Dean m'adressa un dernier sourire à faire froid dans le dos avant de s'en aller.

— Pauvre hypocrite, marmonnai-je. Comme si vous n'étiez pas tous là, à attendre patiemment que je fasse un faux pas.

Les nerfs en pelote, je m'empressai d'aller ouvrir la fenêtre en grand. Accoudé au rebord, j'emplis mes poumons d'air matinal. Un an. Cela faisait déjà un an que le roi Thobias DeCalonne m'avait attribué le poste que j'avais convoité en secret toute ma vie. Jusqu'alors, le titre de Chef de la très élitiste Garde Royale représentait à mes yeux une sorte de mirage. Un rêve que je prenais plaisir à caresser sans trop d'insistance, de peur qu'il ne s'envole. Et voilà qu'à présent, j'étais devenu le plus jeune homme à n'avoir jamais occupé une place auxquels tant prétendaient. Levant ainsi mon majeur en direction des préjugés dont j'avais écopés à la naissance.

— Calvin Branwell, Bâtard de la Cour, chuchotai-je.

Je contractai les poings, avant d'ajouter un peu plus fort :

— Calvin Branwell, Protecteur de la Cour.

Mes mots quittèrent mes lèvres pour s'envoler à l'extérieur. Je fermai les yeux, envahi par une infinie lassitude. Le son étouffé d'un éclat de rire me parvint alors aux oreilles, et je soulevai les paupières. Je laissai mon regard se perdre au loin, savourant la vue apaisante dont je jouissais depuis mes appartements. Mes lèvres s'étirèrent en un rictus amusé. Il y avait des avantages à occuper l'avant-dernier étage d'une Tour qui en comptait une bonne quinzaine. De là où je me trouvais, j'avais accès aux principaux coins de la Résidence Royale. Et en vérité, je prenais plaisir à admirer leur beauté à cette heure si matinale, lorsque les Nobles étaient encore endormis pour la plupart.

(Gratuit le 3 Janvier) APTITUDE : Le Chaos Et La Couronne.Where stories live. Discover now