(Gratuit le 3 Janvier) APTITUDE : Le Chaos Et La Couronne.

Epilogue.

Evan.

Debout face à sa création, Alec Davis délaissa prestement son pinceau. Un vague sourire appréciateur aux lèvres, il admirait le moindre élément de son tableau. Depuis son plus jeune âge, la peinture avait toujours représenté à ses yeux un moyen de se décharger d'un poids. Celui de son existence. Et pourtant, tout ce que le jeune homme peignait se révélait étroitement lié à la personne d'Evan DeCalonne. Car la moindre trace de peinture qui venait ternir la blancheur de ses toiles avait un seul et unique but. Illustrer la destruction, la haine et la vengeance.

Et la plus récente des œuvres d'Evan ne dérogeait pas à la règle. Debout sur une colline nue, une femme hurlait à s'en éclater les poumons. Ses haillons étaient balayés par un vent terrible. D'une violence glaciale. À l'instar du tempérament caractérisant l'auteur de la toile. Ce dernier ne put retenir un sourire amusé à cette pensée. Il fut néanmoins extirpé de ses pensées par un bruit de pas furtifs. Son visage reprit aussitôt son impassibilité habituelle.

Alec se retourna lentement, vrillant son regard singulier sur la nouvelle venue. Deviner l'identité de cette dernière n'avait pas été bien compliqué. Après tout, une seule personne aurait pris le risque de le déranger.

Dixie Paul l'observait attentivement, ses longs cheveux bruns balayant ses épaules alors qu'elle descendait les dernières marches menant à l'Atelier de peinture. L'air parfaitement détendue, la Visionnaire se planta face à Evan. Ce dernier comprit aussitôt la raison de sa visite en remarquant l'expression exaltée de la jeune fille.

— Il est mort, annonça-t-elle à toute vitesse. Olivia et Cameron ont réussi !

Alec ne put réprimer un sentiment d'intense satisfaction. Son estomac se noua d'excitation à la pensée qu'il venait de mettre en place les rouages de son plan. À présent, il s'imposait indéniablement comme le maillon fort du Chaos. Néanmoins, il se contenta d'un bref hochement de tête à l'intention de la messagère.

— Parfait, commenta froidement Evan. Quoi d'autre ?

Le visage de Dixie se décomposa. Le rythme cardiaque du peintre accéléra un instant, il s'empressa de se calmer. Serrant les poings, il se concentra discrètement sur sa respiration. Alec Davis ne laissait personne voir ses émotions. Jamais. Ni la colère, ni la douleur, ni la joie sombre qu'il lui arrivait de ressentir.

— Ils ont réussi à s'enfuir, murmura Dixie.

— Tous ? interrogea Evan en frottant négligemment une trace de peinture sur son index. Même lui ?

Relevant la tête, le peintre lut la réponse dans le regard contrit de son interlocutrice.

— Je vois, lâcha-t-il placidement. Cela ne me surprend pas. J'aurais dû apprendre à ne pas sous-estimer Kylie Taylor.

Evan s'interrompit un instant, songeur.

— Pourquoi as-tu l'air si bouleversée, ma douce ? demanda-t-il d'une voix presque tendre. Il s'agit de l'échec de ton frère jumeau, pas du tien.

À la mention de Cameron, Dixie se raidit de manière imperceptible. Cette fois, Alec ne put retenir un rictus. Il était toujours amusé de constater l'effet qu'il avait sur les autres. Evan DeCalonne avait visiblement atteint son but de ne plus jamais vivre dans la peur ou l'ombre. Car aujourd'hui, il suffisait d'un seul geste pour que le très respecté Alec Davis impose la crainte auprès des autres.

— Je ne suis pas bouleversée, s'empressa de répondre la jeune fille. Simplement... je me demandais ce que tu comptais faire maintenant.

Evan ne put que saluer la manière dont s'était rattrapée Dixie. Elle aurait pu être convaincante, face à une personne moins perspicace. Car à force de crypter la moindre de ses pensées, le prince déchu était devenu excellent dans l'art de deviner les non-dits. Nul besoin pour lui d'être doté d'Aptitude.

Lorsqu'Alec Davis avait sauvé Dixie Paul de l'exil destiné aux Déclassifiés, faisant d'elle une Visionnaire atteinte de mutation, il s'était assuré la loyauté éternelle de son frère Cameron. En effet, ce dernier avait beau obéir à contrecœur de nombreuses fois, il ne rechignait jamais par peur de voir sa jumelle blessée. Ce que Cameron ne parvenait pas à saisir, c'était que la jeune femme était tout aussi précieuse aux yeux d'Evan. Son don unique lui permettait de tracer les pouvoirs des Aptes. Aussi, Alec avait souvent une longueur d'avance sur ses opposants, ce qu'il ne se risquerait jamais à perdre. En revanche, le Garde était loin d'être indispensable. D'où les craintes perpétuelles de Dixie...

— Eh bien, je sais déjà comment je vais attirer Baldwin Chasen dans nos filets, ma douce, répondit Evan après un long silence. Son état de faiblesse rendra les choses d'autant plus faciles.

— Je suppose qu'il y aura encore des dommages collatéraux ? s'enquit Dixie en haussant les sourcils.

— Cela va de soi, répondit le peintre. Et mon frère est bien parti pour en devenir un. À moins que je ne décide de passer par l'amant de ma sœur ? Le prédécesseur de Cameron. Calvin, n'est-ce pas ?

La Visionnaire hocha inutilement la tête. Évidemment, elle savait parfaitement que l'hésitation d'Evan était totalement feinte. Après tout, chacune de ses démarches était toujours d'une précision mortelle. Evan n'entamait jamais une partie d'échecs sans connaitre les faiblesses et les forces de chacun de ses pions. Et il avait déjà trouvé sa prochaine pièce maitresse...

— Quand arriveront nos invités ? interrogea-t-il ensuite.

S'humectant nerveusement les lèvres, Dixie souffla :

— Charles est déjà en Fédération Libre, quant à Geneviève, elle ne devrait plus tarder non plus...

Un plaisir malsain prit possession d'Evan. Tout se déroulait exactement comme il l'avait prévu. Avec un Visionnaire originel en sa possession, Alec aurait bientôt toutes les cartes en main. Et il ne doutait pas que la situation du très jeune Charles jouerait en sa faveur. Après tout, les enfants étaient connus pour être modelables à cause de leur innocence. L'innocence. Le peintre retint une grimace écœurée. Il ne connaissait rien de plus surfait.

En revanche, sa sœur ainée risquait de se montrer bien moins coopérative. De ce qu'il avait observé, Evan déduisait que Geneviève DeCalonne tenait plus de ce cher Edgar que d'Élise Casey. Cette dernière l'avait d'ailleurs cruellement déçu... pour sa perte. Sa cousine semblait plus encline à se faire dominer par ses sentiments que par un esprit pragmatique. C'est ce qui l'avait justement poussée à trahir les DeCalonne pour le rejoindre. Au fond, ce trait de caractère avait peut-être du bon. Alec devrait seulement apprendre à s'en servir à bon escient. Et il ne doutait pas y parvenir...

Obéissant à un signal invisible, Alec lança un regard bref à l'horloge de l'atelier. Sous le regard interrogateur de Dixie, il revêtit un long manteau sombre.

— Le moment est venu pour le fils prodigue de rentrer à la Cour, dit-il calmement en attrapant un trousseau de clés.

Comprenant l'allusion, Dixie écarquilla les yeux.

— Tu veux parler de...

— Hugo Grant, oui, acheva Evan d'un ton sec. Contrairement aux apparences, ce drôle se montrera plus intéressant en compagnie de nos ennemis. Ils n'auront évidemment pas confiance en lui. Et comme il m'a l'air d'un petit garçon perdu en quête d'amour, je peux te dire que Hugo baissera sa garde.

— Et tu découvriras toute la vérité concernant... tu sais quoi, balbutia son interlocutrice d'un air soudain intimidé.

Pour toute réponse, les lèvres du peintre s'étirèrent en un rictus glacial. D'un pas assuré et lent, il se dirigea en direction de la porte en bois, prêt à embrasser le Chaos...

Fin du premier tome.